Le palais des glaces

Paul Delvaux, Femme au miroir, 1936. Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid, Inv.-Nr. 520 (1972.9) © Estate of Paul Delvaux / 2019, ProLitteris, Zurich

En plus de 220 objets, tableaux, sculptures et autres photographies, le Museum Rietberg de Zurich explore les Miroirs, ces Reflets de l’être humain.

Intitulée Eternity now, une œuvre de la plasticienne helvète Sylvie Fleury donne le ton : cet immense rétroviseur posé sur la pelouse permet une saisissante vision de la Villa Wesendonck et de son parc, où est installé le Museum Rietberg. Sur l’esplanade de l’institution, voilà un pavillon des miroirs, gigantesque maison de verre où l’image du passant se démultiplie à l’infini. À l’intérieur, la visite débute avec le mythe antique de Narcisse : tombé amoureux de son reflet dans l’eau, on le découvre voluptueusement alangui dans la contemplation de lui-même avec un marbre de 1828 du sculpteur britannique néoclassique John Gibson. Suivent une cataracte d’autoportraits signés Cindy Sherman, Nan Goldin ou encore Florence Henri – dont les photographies révolutionnèrent le genre au cours des années 1920 – emportant le visiteur jusqu’au contemporain selfie. Ensuite, nous sommes conviés à un volet historique en forme de tour du monde : couvercle de miroir à boîte grec du quatrième siècle avant Jésus-Christ délicatement orné de deux élégantes de bronze, gravure de geisha de la fin du XVIIIe siècle inspectant la perfection de son chignon d’érotique manière, etc. Le parcours s’achève par des œuvres contemporaines – toutes intitulées Miroir – signées Roy Lichtenstein (une géniale représentation abstract pop), Gerhard Richter ou Fernand Léger.

Zanele Muholi, Bona Charlottesville, 2015 © Zanele Muholi. Courtesy of Stevenson, Cape Town/ Johannesburg and Yancey Richardson, New York

Les sections suivantes explorent la symbolique de l’objet, montrant qu’il peut renvoyer, dans l’imagerie catholique, aussi bien à l’une des quatre vertus cardinales, la prudence, qu’à l’un des sept péchés capitaux, l’orgueil, mais aussi qu’il est investi d’un rôle protecteur dans d’autres cultures. En cela un costume de chamane de Sibérie du XVIIIe siècle auquel sont suspendus des miroirs en laiton ou des fétiches du Congo aux yeux réfléchissants sont révélateurs… Également essentielle est la place d’un accessoire permettant d’accéder à une autre réalité dans les peintures surréalistes de Salvador Dalí et Paul Delvaux, dont est exposée une Femme au miroir, créature diaphane et hiératique, vaguement angoissante. Après une escapade en forme de variation sur le voyeurisme où les élégantes sont saisies dans leur intimité, nous passons de l’autre côté du miroir avec l’histoire d’Alice et consorts, notamment illustrée par des extraits de l’Orphée de Jean Cocteau ou une œuvre majeure de Michelangelo Pistoletto, L’Etrusco. Il s’agit d’une réplique de la célèbre et mystérieuse sta- tue étrusque L’Arringatore – représente-t-elle un orateur, un prêtre ? Que signifie son geste ? – posée devant un miroir : elle incarne un temps linéaire, passé, présent et avenir confondus, dans lequel le visiteur, devenu une partie éphémère de l’œuvre, s’insère.


Au Museum Rietberg (Zurich), jusqu’au 22 septembre

rietberg.ch

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