Le Museum Frieder Burda et l’imagination ImPOSSIBLE

Alexandra Bircken, Super Duke, 2023. Ottmann Collection, Foto Studio Alexandra Bircken

ImPOSSIBLE n’est pas Frieder Burda qui propose un exaltant concentré des potentialités de l’imagination.

Une phrase du philosophe Theodor W. Adorno, tirée de Minima Moralia, ouvre l’exposition, en constituant autant le credo qu’un cinglant résumé : « L’art est la magie délivrée du mensonge d’être vrai. » Au fil du parcours, les émerveillements se succèdent dans des œuvres où l’impossible est érigé en modèle alternatif à une réalité… qui flirte de plus en plus avec lui. Le visiteur est ainsi accueilli par une réinterprétation signée David Romero de The Illinois, gratteciel de 1 730 mètres de haut, imaginé par Frank Lloyd Wright, mais jamais réalisé. La simulation générée par ordinateur de l’architecte espagnol fait quelques dix mètres, montrant une utopie humaine dont se sont inspirés les créateurs de Burj Khalifa, plus haute tour au monde (828 mètres). Direction ensuite l’installation immersive de Daniel Knorr : pénétrer dans Calligraphic Wig (2019-24), c’est entrer dans une salle aux murs réfléchissants où pendent des fragments de plastique peints, filaments, torsades et autres écheveaux issus des rebuts d’une usine de recyclage de Hong-Kong. Ils génèrent un alphabet de formes molles et alambiquées, qui pourrait être celui de l’utopie marchande contemporaine. Désorienté et fasciné, le visiteur erre au milieu de cette mosaïque mobile.

Museum Frieder Burda
Museum Frieder Burda : Vue d’installation, Daniel Knorr, 2019–24
© VG Bild-Kunst, Bonn 2024. Photo : Nikolay Kazakov

Des tableaux photographiques de Jeff Wall, à l’image de l’incroyable Changing Room (2014), voisinent avec d’immenses toiles de Neo Rauch (Interview, 2006), où flottent des bribes de l’histoire européenne, fractions d’idéologie en décrépitude : national-socialisme, marxisme-léninisme, capitalisme financier… Le reflet d’un monde en chute libre qui a perdu ses repères où, derrière l’abondance apaisée, existe un fourmillement malsain et dangereux, un totalitarisme mou et insidieux. De film expérimental – l’iconique Cours des choses (1985-87) de Peter Fischli et David Weiss – en tapisserie 3D (From Gondwana to Endangered, Who is the Devil Now? où Goshka Macuga questionne le climat en 2020), le parcours invite à l’étonnement permanent. Pensons à Super Duke (2023) : en coupant une moto en deux, Alexandra Bircken en livre les entrailles, comme une coupe anatomique. On demeure aussi éblouis par Twisted Dump Truck (2013) de Wim Delvoye, camion à benne en acier inoxydable nickelé, évoquant une cathédrale gothique (avec arcs, flèches et autres pinacles) dont les lignes auraient été vrillées. Dans cette fascinante hybridation se joue également quelque chose de l’ordre de la mission de l’art, consistant, pour Adorno, à « introduire le chaos dans l’ordre administré ».


Au Museum Frieder Burda (Baden-Baden) jusqu’au 26 mai

museum-frieder-burda.de

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