Le Musée Tomi Ungerer accueille Jean-Michel Folon

Collection Fondation Folon, La Hulpe © Ture Westberg

Au Musée Tomi Ungerer, se déploie l’art d’Un Rêveur engagé : quelque 150 oeuvres de Jean-Michel Folon explorent une écriture visuelle où poésie et politique font bon ménage.

« Il possédait un trait d’une grande élégance rappelant celui de Saul Steinberg – réussissant, en quelques lignes dessinées, à exprimer la force d’une idée – et était un maître de la couleur. » Voilà le génie de Jean-Michel Folon (1934- 2005) résumé d’éclatante manière par Thérèse Willer ! Et la commissaire de l’exposition d’annoncer la découverte d’un « versant de sa création qu’on ne connaît pas, ou moins bien. » Il est vrai que la plupart des pièces exposées le sont pour la première fois, puisqu’elles ont été découvertes récemment, après la disparition de la seconde épouse de l’artiste, dans un coin de son atelier monégasque. 

POÉTIQUE
Devenu une icône de la culture populaire, Folon affirmait : « J’ai seulement essayé de fixer mes propres rêves, avec l’espoir que les autres y accrochent les leurs. » En témoigne le célèbre générique imaginé pour Antenne 2 au mitan des années 1970, sur une musique planante de Michel Colombier inspirée d’une composition baroque d’Alessandro Marcello. Des hommes volètent, se servant de leurs bras comme d’ailes, au coeur de l’azur piqueté d’étoiles d’un fond coloré seventies, dans un ballet méditatif et diablement mélancolique. Pour s’en souvenir, quelques celluloïds originaux sont posés dans une vitrine ouvrant un parcours thématique rappelant que l’artiste réalisa près de 600 affiches au cours de sa carrière, dont celles de Lily aime-moi de Maurice Dugowson – où il fut également acteur – et de La Rose pourpre du Caire de son ami Woody Allen. Dans une opposition chromatique intense entre le blanc éclatant de l’écran et la salle obscure traitée avec un lavis – dont la teinte évoque le titre – se concentre le propos du film avec une belle intensité : un personnage sort de son univers cinématographique pour entraîner une jeune femme dans des aventures rocambolesques. À côté, sont accrochés des dessins inédits des années 1960 : un être dont le visage est remplacé par un point d’interrogation (signe typographique souvent utilisé par l’artiste notamment dans une étonnante sculpture) ressemble à un cousin du personnage fétiche de Folon, ”homme au chapeau”, réduit à sa plus simple expression. Deux points pour les yeux, un trait faisant office de bouche, un galure masquant les cheveux et un grand manteau passe-partout. Un monsieur Tout-le-monde en forme d’archétype universel, lointain parent de Charlot ou des hommes au chapeau melon de Magritte. Au-delà de la ressemblance esthétique existent des correspondances intellectuelles : des cyclistes sans expression pédalant sur des roues dentées convoquent les engrenages (autre motif récurrent présent dans nombre de compositions) des Temps modernes broyant l’Humanité dans un travail répétitif. Sur ces dessins plane l’esprit révolutionnaire des sixties et éclate leur aspiration à un monde meilleur.

POLITIQUE
Au fil des thématiques – le cosmos, la ville vue comme un labyrinthe étouffant sursaturé de signes dénués de sens, l’incommunicabilité, etc. – se déploient, grâce à une fine sélection d’oeuvres, les contours de l’univers de Folon dont on découvre une facette inédite. Une section intitulée Métamorphoses montre en effet que ce maître de l’aquarelle n’hésita pas à explorer de nombreuses techniques, les hybridant avec délicatesse, jouant de grattages, assemblages et autres collages. Notre homme se montre ainsi le digne héritier des surréalistes. Pensons à un génial révolver découpé dans un antique catalogue d’armes : sa détente va être actionnée par un homme minuscule tenant tout entier dans le pontet. Le dispositif menace une femme debout face au chien qui va s’abattre sur elle dès le coup parti, le visage convulsé de peur, les bras levés. Voilà qui annonce une salle consacrée aux engagements de l’artiste : affiche contre la peine de mort – un juge dont la bouche grande ouverte est une guillotine – ou illustration pour Amnesty International explicitant l’Article 28 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Pacifiste convaincu, ouvert très tôt à la préservation de l’environnement, Folon met sa plume au service de causes essentielles dont l’actualité est brûlante, si bien que certains dessins font encore froid dans le dos comme un visage dont yeux, nez et dents sont des missiles nucléaires. À la fin du parcours, le visiteur demeure saisi par une aquarelle : une immense croix gammée dotée d’une main, de deux pieds humains ainsi que d’une tête de loup, est posée, inquiétante, sur un globe terrestre se détachant, mortifère, dans les teintes mordorées d’un soleil couchant… prête à mordre et à poursuivre sa rotation sinistre.


Au Musée Tomi Ungerer – Centre international de l’illustration (Strasbourg) jusqu’au 3 juillet
musees.strasbourg.eu 

> En parallèle se déploie Tomi Ungerer. L’enfant terrible à la Fondation Folon de La Hulpe, en Belgique (jusqu’au 26/06)
fondationfolon.be

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