Le Labyrinthe de Pan

Comme en Avignon, Angélica Liddell présente successivement ses deux dernières pièces, Ping Pang Qiu et Todo el cielo sobre la tierra (El Sindrome de Wendy). Une exploration rageuse de son dégoût du monde et de l’homme sur fond de Chine d’hier et d’aujourd’hui.

Le théâtre réaliste, volontairement autobiographique, cru et exhibitionniste d’Angélica Liddell avait marqué les esprits lors de son passage au Maillon avec La Casa de la fuerza. L’auteure, comédienne et metteuse en scène espagnole ouvre le bal à La Filature mulhousienne avec Ping Pang Qiu, retour sur la Chine maoïste de la révolution culturelle, ses dégâts collectifs, son autoritarisme abscons et sa propagande féroce. Avec cette première pièce, entre prétexte historique – la “ping-pong diplomacy” qui consistait pour les États-Unis à envoyer des pongistes en Chine alors même qu’ils s’opposaient fortement sur le conflit vietnamien – et expérience personnelle dans un Empire du milieu qui la laisse fatalement étrangère, Angélica Liddell livre son premier coup à « la sensation du troupeau », l’effet de masse abrutissant et ses dérives. Au Petit livre rouge de Mao elle préfère Le Livre d’un homme seul du Nobel Gao Xingjian, même lorsque le corollaire de cette ode à la liberté est fait de douleur et de tristesse.

Todo El Cielo © Ricardo Carrillo De Albornoz

Deux sentiments qui cheminent avec celle qui met un plus son âme à nu avec une beauté fiévreuse dans Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy). Le Maillon strasbourgeois sera transformé en île, mi Utøya (sa tuerie et ses ados qui ne vieilliront jamais), mi Neverland (le refus des enfants de grandir et leur peur de l’abandon). Dans un saisissant effet de miroir, Angélica Liddell joue son propre rôle, celui névrotique de la Wendy de Peter Pan et le combo des deux, mixé par sa plume, qui construit son propre îlot à Shanghai pour anéantir ce qu’elle aime le plus, se venger de tout ce qui lui a été enlevé. Entre réécriture et emprunts au conte mais aussi au film d’Elia Kazan La Fièvre dans le sang, elle forge un cauchemar solitaire où amour et mélancolie se joignent au dégoût des bassesses humaines et au tourment de l’âme : la sexualité. Entre images sublimes d’un couple de septuagénaires chinois valsant sur les airs d’un orchestre de chambre en fond de scène tels les figurines hors du temps d’une boite à musique et solo lancinant de plus de trois quart d’heure, elle susurre autant qu’elle hurle un mal être monstrueux et pourtant familier, se transformant en logorrhée dézinguant les « professionnels de la pitié et de la bonté » (mères, ONG, psy…). Demeurent, entêtant, les vers de Splendor in the Grass de Wordsworth, utilisés par Kazan, revenant comme un refrain : « Si rien ne peut ramener l’heure / De la splendeur dans l’herbe, de l’éclat dans la fleur / Au lieu de pleurer, nous puiserons / Nos forces dans ce qui n’est plus. »

Ping Pang Qiu, à Mulhouse, à La Filature dans le cadre du festival Les Vagamondes (navette mise en place par Le Maillon le 13 janvier), mardi 13 et mercredi 14 janvier. En espagnol surtitré en français
+33 (0)3 89 36 28 28 – www.lafilature.org

Todo el cielo sobre la tierra (El Sindrome de Wendy), à Strasbourg, au Maillon (présenté avec La Filature), du 17 au 19 janvier. En espagnol, mandarin et norvégien surtitré en français et en allemand
+33 (0)3 88 27 61 81 – www.maillon.eu
www.angelicaliddell.com
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