La Soupe Cie met en scène “Regarde-moi” de Mick Wood

© Raoul Gilibert

Et si, sur le chemin les menant des Enfers au monde mortel, Eurydice décidait de dire non à Orphée ? Recentré sur une figure féminine mythique, Regarde-moi lui rend, enfin, son libre arbitre.

Dans la pénombre, à la lueur d’un néon, s’avance un homme. C’est Orphée. Le voilà revenant des Enfers. Pour incarner l’artiste béni d’Apollon, le danseur Lory Laurac. Fusionnant énergie hip-hop et précision classique, il s’approprie la scène avec assurance. À son bras, une marionnette. Cette étrange cavalière, c’est Eurydice, sa défunte épouse qu’il est venu chercher dans les abîmes. Au long de la traversée, elle sort de son inertie, se rappelant du passé. Dans ce poétique pas de deux, le meneur n’est pas celui qu’on croit : si l’aède prenait jadis toute la lumière et les décisions, c’est peut-être ici la nymphe qui mène la danse car, désormais, la jeune femme est plus qu’un miroir reflétant l’épopée infernale de l’Argonaute. Elle s’apprête à prendre son destin en main, quitte à ce que les exploits du Thrace soient vains. Témoin de ce face à face, Hermès (Valentin Arnoux) joue les psychopompes malicieux, se moquant de l’épicisme du premier et poussant la seconde dans ses retranchements.

Fasciné par cette « histoire d’amour et de mort », Éric Domenicone l’avait déjà explorée avec Yseult Welschinger, il y a une quinzaine d’années, se concentrant alors sur le thème de la perte. Le duo de La Soupe Cie propose une nouvelle version surprenante, mêlant comédie, danse, marionnettes et musique pour rééquilibrer les forces en présence. « Il ne s’agit pas de nier tout ce qu’Orphée accomplit mais de permettre à Eurydice de prendre conscience d’elle-même, de réfléchir et d’être capable de dire non », détaille le metteur en scène. À lui, la flamme de la vie et la fougue du mouvement, symboles de l’héroïsme déployé pour faire revivre son amour. À elle, la possibilité d’être plus qu’une demoiselle en détresse. À la faveur d’une époque où la question du consentement dans les relations interpersonnelles se fait plus prégnante, imaginer le cheminement de la dryade était une évidence. « Notre postulat, c’est de lui redonner la parole pour ne pas la réduire au rôle de celle qui a suivi pour exister », confirme la conceptrice- marionnettiste. En langues française et anglaise, sur un thème musical inspiré de partitions antiques, les poèmes du dramaturge britannique Mick Wood donnent vie à ces deux êtres complémentaires pour qui la communication est en réalité impossible, les amants étant réduits au mutisme. « Orphée existe par sa présence physique mais seul Hermès peut nous révéler ce qu’il ressent. Quant à Eurydice, elle ne parle pas plus. Une voix-off livre sa pensée », poursuit-elle. De la finitude mortelle à la puissance de l’émancipation, un couple légendaire se réinvente ainsi et réécrit son histoire, comme un écho éternel à tous ceux que la mort a séparés.

La Soupe Cie
La Soupe Cie: Regarde-moi © Raoul Gilibert

Au Taps Laiterie (Strasbourg) du 29 novembre au 1er décembre et au PréO (Oberhausbergen) jeudi 25 janvier 2024
taps.strasbourg.eule-preo.fr

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