Ce Samedi il pleuvait au Taps

© Dominique Déhan

Succès du festival Les Actuelles en 2017, Ce Samedi il pleuvait, pièce cynique et acerbe de la Québécoise Annick Lefebvre, voit enfin le jour au Taps, mis en scène par Catherine Tartarin.

Une histoire typique de banlieue chic montréalaise de la rive sud, avec un père qui se réfugie dans le travail, aime plus son chien, Sultan II, que sa femme, Julie. Elle, carbure aux anti-dépresseurs pour mieux fuir sa vie, quand leurs jumeaux de 15 ans ne peuvent s’empêcher de parler en simultané tout en voulant, paradoxalement, défusionner et en découdre avec le monde qui les attend. Le tout est porté par une plume vive, pleine de références pop et de rébellion face au libéralisme galopant cadenassant nos existences.

Ce Samedi il pleuvait © Dominique Déhan

Publié en 2013, cette chronique gorgée d’humour noir, abordant de grandes questions sur ce qui nous gouverne, ne masque pas les profondes interrogations autour de ce à quoi chacun aspire. La famille dysfonctionnelle brossée par Annick Lefebvre souffre d’une incommunicabilité folle. Pas que ses personnages ne se soucient des autres, mais ils demeurent incapables de se le dire, comme de l’entendre. L’amour y est d’une extrême maladresse, caché derrière des volées de punchlines dévastatrices, qui donnent des saillies mémorables. Ainsi Julie rêve-t-elle « du jour où [s]es enfants percuteraient un poteau en roulant en sens inverse, sans permis de conduire, sur une autoroute à l’heure de pointe. » Quant aux jumeaux, amenés de force au Défilé de la Fierté Hétérosexuelle, ils ne pensent qu’à « avaler des Lego. S’avaler. Ingérer le territoire de notre indépendance pis s’ouvrir socialement la trappe. En solo. Développer ses idées, pis apprendre à les défendre soi-même. Qu’elles ne fassent pas l’unanimité. Qu’elles ne soient pas consensuelles. Mais qu’on les écoute quand même. Avaler des Lego. Coûte que coûte pis au sens propre. (…) À pleine bouche pis avec la langue malade qui nous sert d’arme de pointe. Avaler des Lego. D’urgence. Parce que c’est la seule façon de colorer les perspectives d’avenir auxquelles j’ose encore croire. » Comme souvent, le meilleur ami de l’Homme prendra pour les autres, à coups de canifs rageurs, révélateurs d’une histoire familiale empêchant toute construction divergente de cette image extérieurement lisse. Elle ne repose pourtant que sur des ruines profondes, dont seule l’exhumation entraînera une mutuelle compréhension.

Ce Samedi il pleuvait © Dominique Déhan
Ce Samedi il pleuvait © Dominique Déhan

En 2017, le duo electro acoustique Encore signait la musique de la mise en voix du texte au festival strasbourgeois Les Actuelles. Mais les reports forcés et les agendas de tournées inconciliables obligèrent Catherine Tartarin à remplacer le duo par Francesco Rees (batterie) et Kalevi Uibo (guitare électrique), ce dernier composant la moitié des nappes sonores de la pièce, l’autre reprenant celles d’origine, le côté abrasif de la guitare électrique en plus. La metteuse en scène, issue du théâtre musical, travaille particulièrement le son « pour conserver une distance sensible sans que les musiciens n’aient à se retenir ». Des images tournées dans le Morvan permettent la projection d’un film aux mouvements très lents, dans l’idée d’une toile peinte, dont l’esthétique tranche avec un sofa jaune devant une piscine de cinq mètres sur cinq dans laquelle on patauge, au milieu de ses névroses.


Au Taps Laiterie (Strasbourg) du 29 novembre au 2 décembre (dès 15 ans)
taps.strasbourg.eu


Après coup avec l’autrice Annick Lefebvre jeudi 1er décembre à l’issue de la représentation

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