La Rage au corps

© Patrick Fabre

Ode au krump, danse née dans les banlieues les plus dures des États-Unis, Éloge du puissant royaume nous convie à la rencontre de celui qui vit dans l’obscur de nous-mêmes.

Né dans les projects1 de Los Angeles, peu après les émeutes ayant embrasé la ville suite à l’acquittement des policiers qui avaient tabassé Rodney King, le krump (kingdom radically uplifted mighty praise) est « un rite inventé, une sorte de louange forcenée, la contorsion brutale de celui qui refuse la camisole contemporaine. » Le chorégraphe Heddy Maalem l’a découvert par effraction – comme nombre d’entre nous – avec Rize[2. Projection au Palace de Mulhouse, lundi 13 octobre (19h) – www.lepalacemulhouse.com] en 2005, documentaire du photographe et réalisateur David LaChapelle. Héritage de siècles de violence des corps et des esprits subis par les afro-américains, le krump est une danse guerrière de survie, mais aussi de compréhension de ce qui fonde la brutalité du monde et des êtres, au-delà des mots. S’y retrouvent l’univers et les codes de la rue gorgeant le quotidien des nouveaux gladiateurs urbains : provocation, défi, intimidation… Là où le respect se gagne chèrement, en mouillant le maillot, entre gangs, Glock et rodéos. Mais pour Heddy Maalem, le mouvement va bien au-delà de son territoire, rayonnant d’une pulsion vitale sans égale : « Il semblerait que le monde ait fait naître là où on ne l’attendait pas, une danse du dedans, authentiquement spirituelle, faite pour débusquer des monstres et dire l’inarticulé des paroles rentrées dans la gorge de ceux qui ne peuvent même plus crier. La seule danse qui vaille. »

© Park Sang Yun

Mélangeant classiques du genre (Twice the first time de l’icône slam Saul Williams) et musique classique, le chorégraphe unit des danseurs habitués aux solos dans des arènes surchauffées. Sous une douche de lumière crue faisant scintiller leurs musculatures saillantes, les pulsations d’énergie brute de chacun d’entre eux dévoilent toute la rage qui les hante. Dans une constante recherche d’intensité poussée à son paroxysme, ils multiplient les mouvements, usant avec un instinct touchant au génie du ralenti pour souligner la fulgurance : saccadés d’automates déglingués, phases répétitives de camés déjantés, volte-face impromptues et rebelles de jeunes de cité coffrés ou tabassés. Aucune de ces figures n’est nommée même si elles font partie intégrante de la danse avec ses cris étouffés qui ne sont jamais singés. L’entrée en transe est toujours recherchée, la possession comme élément de créativité organique pure soutenant une technique sûre. Heddy Maalem n’a eu qu’à « organiser les masses énergétiques de ses danseurs » et leur offrir un temps de rencontre différent où chacun peut esquisser un pas de deux langoureux, une mise à distance du feu originel avant de repartir de plus belle !

À Mulhouse, à La Filature, du 14 au 17 octobre
03 89 36 28 28 – www.lafilature.org
Workshop danse à La Filature, Osez le Krump ! avec deux danseurs de la compagnie, mercredi 15 octobre (14h-17h)
www.heddymaalem.com
vous pourriez aussi aimer