La Peinture du désastre

Valérie Favre, Lady Bird, 2010. Courtesy Gnyp Collection and Springmeier Collection. Photo: Uwe Walter © ADAGP Paris 2015

Artiste majeure de la scène internationale, la Suissesse installée à Berlin Valérie Favre s’était faite rare en France. Entre danse macabre, rêverie littéraire et poésie cosmique, La Première nuit du monde marque un triomphal retour.

Scénarisée par ses soins, l’exposition de Valérie Favre s’ouvre par le dernier opus de sa série Ball and Tunnels (pour laquelle elle réalise un tableau par an), vaste efflorescence picturale abstraite voulue « avec le moins de décisions possibles ». Après cette introduction marquée par le hasard, nous pénétrons dans une première salle aux murs d’un rouge étincelant dans laquelle rayonnent les Grands Théâtres, vastes triptyques où éclate toute la folie du monde : dans un décor en décomposition évoluent des spectres dégoulinants, créatures de cauchemar réunies pour une parade triste rappelant les toiles funèbres de James Ensor ou les compositions fluctuantes de Marc Desgrandchamps. Hommes et bêtes errent dans un univers fuligineux marqué par la certitude d’une catastrophe imminente. Dans la seconde salle d’une blancheur d’hôpital est accrochée une série de dessins et de peintures autour du roman de Maurice Blanchot, Thomas l’Obscur – d’où provient le titre de l’exposition – dont la plasticienne a intégralement recopié le texte. Les dessins qui l’accompagnent n’en sont pas une illustration, mais une tentative de penser en compagnie de l’auteur, de faire entrer le trait en résonance avec les mots matérialisant les pensées les plus intimes de l’artiste-lectrice qui aime se présenter comme une « fausse écrivaine ».

La dernière salle est sombre ; c’est à peine si le visiteur perçoit encore, dans cet espace noir la lumière crue de celui qu’il vient de quitter. Une fois ses yeux accoutumés à la pénombre, il découvre les Fragments, définis comme des « morceaux d’univers » par Valérie Favre qui a décidé de montrer des segments d’infini : galaxies innommées, trous noirs ou “représentations” de la voie lactée évoquent les dessins à l’encre de Chine de Victor Hugo dans une poésie interstellaire. En regard de cette série est accrochée celle des Ghosts, inspirée du Vol des Sorcières de Goya, où des créatures diaboliques coiffées de chapeaux pointus entraînent un homme nu dans le ciel. L’artiste en propose plusieurs variations. Tour à tour burlesques, nimbées d’une extrême violence ou encore rassurantes et presque paisibles, ces différentes versions résument un propos pétri d’une vision crépusculaire du monde, baignée par un humour certes noir, mais jamais désespéré.

Au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, jusqu’au 27 mars

03 88 23 31 31 – www.musees-strasbourg.org

www.valeriefavre.net

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