La géométrie dans les spasmes

André Cadere, Sans titre, 1969, Nancy, MBA, dépôt du CNAP et Frank Stella, Konskie II (Polish Village), 1971, Nancy, MBA, dépôt du Frac Lorraine

Le galeriste Hervé Bize, défenseur de l’Art contemporain depuis trois décennies, fait dialoguer ses œuvres avec celles des collections du Musée des Beaux- Arts de Nancy. Consonances : souvent mathématique, jamais hermétique.

Il ne s’agit que de Quelques courbes en hommage à Lamour. Sans apostrophe… S’il est célèbre pour ses carrés parfaitement ordonnés, François Morellet (1926- 2016), porte-étendard de l’abstraction géométrique, est fasciné par, citons-le, « les pavements byzantins en mosaïques de Xanthos en Turquie où ceux, Renaissance, du Baptistère de Florence ». Depuis 2003, sur la façade du Musée des Beaux-Arts, qui fête les vingt ans de sa restauration, sont installés des néons tout en arabesques, clin d’œil respectueux de Morellet à Jean Lamour, serrurier de Stanislas ayant réalisé sur la place éponyme une grille en fer forgé recouverte en partie de feuilles d’or. Grâce à Consonances, s’immisçant au rez-de-chaussée de l’exposition permanente de l’institution, nous découvrons les exquises esquisses rococo du plasticien minimaliste. Hervé Bize, véritable « combattant » (selon l’un de ses proches) de la cause des arts plastiques, n’est pas étranger à cette commande faite à l’artiste dont les dessins préparatoires consistent en une série de volutes. Le galeriste nous éclaire quant à ces douces formes « nées d’une déconstruction de motifs que Morellet intégrait beaucoup à son œuvre jusqu’aux dernières années de sa vie. » Il a très largement contribué à la reconnaissance et au rayonnement de l’artiste amoureux de « la déduction mathématique ». Il était « un père spirituel » pour celui qui le considère comme « l’un des créateurs les plus importants de la seconde moitié du XXe siècle, mais aussi un proche, rencontré alors que je n’avais que 22 ans et qui continue de m’accompagner aujourd’hui ». Même s’il affirme ne pas défendre une école, une génération ou un courant en particulier, privilégiant « les liens entretenus » avec les plasticiens représentés par sa galerie, on sent bien que l’ombre de l’imposante statue du commandeur plane sur ses choix et, de fait, tout au long de la déambulation muséale marquée par le travail constructif de Frank Stella, les Triangulations de Daniel Dezeuze ou la démarche systémique de Claude Viallat dont la vaste voile de bateau respire le grand large. Consonances est définitivement bien plus qu’une carte blanche, c’est « un portrait chinois » du galeriste qui a notamment présenté son créateur fétiche à New York en 2016, peu avant sa mort.

François Morellet, Super Position n°2 et Super Position n°4, 2002 Courtesy Studio Morellet et Galerie Hervé Bize, Nancy

Une greffe
Avec Consonances, la collection des Beaux- Arts est « augmentée » par les peintures, sculptures ou vidéos sélectionnées par celui qui perçoit son intervention comme une « greffe » contemporaine. Ne pas s’imposer ! Le Nancéien désire créer la surprise chez le visiteur qui, non averti, pourrait ne pas “identifier” certaines propositions. Dans la salle dédiée à Jean Prouvé, saura-t-il découvrir la “supercherie” duchampienne de Bertrand Lavier qui a hybridé l’assise du fauteuil Diamond d’Harry Bertoia et les bascules du Rocking Armchair des Eames ? Pas de clinquant chez Bize qui jamais ne mise sur le buzz. Aussi, la Tête d’Emmanuel Saulnier (achetée à Hervé Bize par le musée en 2009), sculpture de verre noir niché dans un recoin de l’institution, à l’allure d’un L majuscule, lettre par ailleurs présente dans le duo de Super Position, volumineux monolithes jaune pétant signés Morellet exposés dans le péristyle. L’imposant vase de pyrex de Saulnier est effectivement “tranché”, son chef gisant à son pied : réalisé durant l’épidémie du Sida (1991-92), cette œuvre évoque la fragilité du corps et de l’existence. Radicalité plastique et abstraction géométrique ne riment pas avec repli sur soi et aveuglement : Konskie II (Polish village), toile découpée et colorée de Stella, résonne avec l’Histoire de la Pologne et les synagogues détruites durant la Seconde Guerre mondiale… Pour Morellet, l’art doit être « désacralisé, absurde, logique, élitaire, suicidaire, éblouissant ». Vibrant et dérangeant ! Hervé Bize perçoit en effet l’exposition aux Beaux-Arts nancéiens comme une partition musicale, un jeu d’échos, « parfois dissonant ».

Portrait d’Hervé Bize par Serge Martinez

Au Musée des Beaux-Arts de Nancy, jusqu’au 15 octobre
musee-des-beaux-arts.nancy.fr
hervebize.com

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