La Force d’un destin

Photo de Benoît Linder pour Poly

D’une enfance marseillaise aux plus grandes scènes lyriques de la planète, portrait, à l’occasion de son passage au Festspielhaus de Baden-Baden, du baryton Ludovic Tézier qui « considère le chant comme un artisanat ».

Deux souvenirs d’enfance comme des marqueurs indélébiles. Tout d’abord, la « voix de Boris Christoff incarnant Méphistophélès dans le Faust de Gounod qui passait en boucle à la maison. Je devais avoir trois ou quatre ans et étais convaincu qu’il était le diable et que le diable venait de l’Est », balance Ludovic Tézier dans un éclat de rire. Ensuite, à treize ans, il reçut en cadeau un billet pour Parsifal, son premier opéra : « Hypnotisé, me voilà emporté dans le flot tumultueux et magnétique de la musique de Wagner. Après plus de cinq heures, je ne pouvais pas croire que c’était déjà terminé. » Il est toujours fou du maître de Bayreuth, même s’il n’a pour l’instant chanté que Wolfram von Eschenbach dans Tannhäuser. Des « couleurs plus automnales sont apparues dans ma voix » explique-t-il, ce qui laisse augurer un beau Wotan. Plus tard. « Avant ce sera Amfortas dans Parsifal, un passage obligé parce qu’il ne faut rien brusquer en matière de répertoire. »

Enfant de troupe Avant d’être reconnu comme une des plus grandes voix de la planète, Ludovic Tézier, désormais installé en Alsace, qui « a commencé à ouvrir le bec sérieusement à 19 ans » a travaillé avec Claudine Duprat : « J’ai débarqué avec un air de ténor. À l’époque, ma voix montait facilement. Elle m’a coupé de suite, disant que je ferais peut-être un bon baryton. J’étais tellement déçu que j’ai failli me remettre au vélo que je pratiquais alors à bon niveau », raconte le ténor d’un jour. « Elle m’a fait écouter Michel Dens. Je suis tombé amoureux de cette voix. Qu’il chante Les Roses de Picardie ou le Grand prêtre dans Samson et Dalila, il avait une classe folle. » Ensuite, il s’est formé à la dure école de la troupe pendant deux ans, à Lucerne, « avec environ 80 représentations la première année, parfois quatre opéras différents par semaine. La voix fait le yo-yo, mais à 22 ans tout semble facile. C’était la caserne, mais une caserne joyeuse qui permet de se faire un répertoire incroyable. » Passé ensuite par la troupe de Lyon à l’époque (dorée) Jean-Pierre Brossmann, il se lance, après trois ans « en free », s’affirmant rapidement et renvoyant les esprits chagrins à leurs chère études, eux qui prétendaient, jusque récemment, qu’il chantait divinement mais jouait “à l’ancienne”. Un piètre acteur, pour résumer… Lorsqu’on lui dit cela, il en rigole : « Le plus important c’est la voix, non ? Blague a part, j’ai travaillé la question avec des metteurs en scène comme Jean-Pierre Vincent et pense avoir progressé. » Preuve administrée avec éclat la saison passée dans une géniale Force du destin à Munich (reprise en mai). Et de conclure : « J’attends la suite, lorsqu’on me trouvera formidable acteur et moins en voix », sourit-il.

La tête et les tripes Pour Ludovic Tézier, « une fois qu’on a travaillé un rôle, qu’on s’est documenté, qu’on a intériorisé la mise en scène, il n’est plus nécessaire d’intellectualiser. Dans un spectacle, il y a quelques rendez-vous avec son cerveau : il faut en effet parfois se reconnecter, lorsque la partition est “sur le fil du rasoir” techniquement, mais le reste du temps, la soirée doit être gérée dans un relatif pilotage automatique pour qu’on soit “traversé” par l’œuvre. Je n’ai pas la prétention de réussir ça – et surement pas à chaque représentation –, mais c’est un idéal… » Voilà des années qu’il poursuit cette quête du naturel, chantant avec son âme et ses tripes, puisqu’il est bien connu que, « premièrement : un cerveau ça ne chante pas. Deuxièmement : pour produire un son il faut mettre en branle une machine, une soufflerie, dans une véritable danse du ventre ». Catalogué “interprète verdien”, qualifié de “baryton national”, Ludovic Tézier se joue des étiquettes et prouve à chaque prestation qu’il est avant tout un artiste hors normes. On le découvrira à Baden-Baden avec le Philharmonique de Berlin et Sir Simon Rattle, dans le rôle de Méphisto dans La Damnation de Faust de Berlioz (en version de concert), un compositeur qui réalise « le mélange étonnant et détonnant entre puissance intellectuelle et absolue sensualité ». Quelques semaines plus tard, il sera Giorgio Germont dans La Traviata de Verdi. Un méchant ? « J’ai toujours tendance à défendre les rôles que j’incarne, donc on croit souvent que je défends les ordures. Germont est dans sa fonction de père, c’est un mec normal qui fait ce qu’il a à faire. » Une définition qui va comme un gant au plus grand baryton français.

La Damnation de Faust (dimanches 29 mars et 5 avril) et La Traviata (les 22, 25 et 29 mai), à Baden-Baden, au Festspielhaus

 

© Peter Adamik / EMI Classics

Be Berlin !

Pour la troisième année, le Philharmonique de Berlin de Sir Simon Rattle, souvent considéré comme le meilleur orchestre de la planète, investit Baden-Baden à l’occasion du Festival de Pâques. Un événement de classe mondiale proposant un programme dense et scintillant fait d’une trentaine de rendez-vous. Le must ? Un Chevalier à la rose d’anthologie (27 et 30 mars, 2 et 6 avril). La pépite ? Martha Argerich dans Schumann sous la baguette de Riccardo Chailly (4 avril). Un instant chambriste ? Un sextuor à cordes (6 avril) dans un programme Brahms / Korngold. L’originalité ? Un Chevalier à la rose adapté au jeune public (2 et 6 avril).

À Baden-Baden, au Festspielhaus (et dans toute la ville), du 27 mars au 6 avril

+49 (0)7221 3013 101 – www.festspielhaus.de

 

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