L’homme de fer

© Stéphane Louis

Figure emblématique de la lutte pour la survie de l’acier lorrain, Edouard Martin est sur la brèche. Le gouvernement a jusqu’au 1er décembre pour trouver un repreneur aux deux derniers hauts-fourneaux de Florange. Rencontre avec un syndicaliste CFDT chez ArcelorMittal devenu un symbole.

Le soleil dardant des rayons poussifs peine à réchauffer l’air. Le ciel est pourtant d’un bleu profond. Sous nos pieds, au fond de la vallée de la Fensch, l’aciérie ArcelorMittal se déploie comme un serpent de fer sur plusieurs communes : Hayange, Serémange-Erzange et Florange. Edouard Martin désigne les deux derniers hauts-fourneaux : le P3, à l’arrêt depuis juillet 2011, et le P6, depuis octobre 2011. Au fil des mois, la direction a prolongé cette inactivité tout « en assurant qu’elle ne serait que temporaire » raille le syndicaliste… jusqu’à ce funeste 1er octobre 2012 où une fermeture définitive a été annoncée. Que faire ? Se vouer à la Vierge qui domine Hayange devant laquelle les métallos ont installé trois lettres géantes, un SOS qui illumine la nuit lorraine depuis plus d’un an ? En fonte, la statue de sept mètres de haut a été fondue chez De Wendel, en 1903. « À l’époque, on savait encore qui était le patron, on pouvait lui parler les yeux dans les yeux. Aujourd’hui, dans les bureaux, ils ont tous de belles cartes de visite avec de jolis titres, mais pas de pouvoir. Ce sont de bons petits soldats qui ne décident même pas de la couleur de la chemise qu’ils mettent le matin. Ils appellent Londres. Le seul à décider se nomme Mittal. Il n’a jamais mis les pieds ici et ne les mettra jamais. » On en viendrait à regretter le paternalisme du XIXe siècle…

Un moral d’acier Rien n’entame la détermination d’Edouard Martin, ni les fausses promesses – « lorsqu’Éric Besson, alors Ministre de l’Industrie a eu le culot de nous dire qu’il n’y avait aucune raison de mettre en doute la parole de M. Mittal. Mais elle ne vaut rien, sa parole » – ni les coups de poignard, dont le plus violent fut la fermeture de Gandrange en 2009, malgré les rodomontades de Nicolas Sarkozy. La lutte continue, de Marches de l’acier en blocages d’usines, mais le syndicaliste de 49 ans à la gueule d’acteur de cinéma des années 1950 a su déplacer le combat dans les médias, devenant la figure emblématique d’une industrie en train de crever. « Malgré moi » assure-t-il. Des formules cinglantes et une éloquence naturelle font mouche sur les plateaux télévisés et contribuent à rendre populaire le combat des sidérurgistes lorrains. « L’usine de Florange a toujours été compétitive face à la concurrence mondiale. Dans chaque Volkswagen, au moins une pièce contient de l’acier produit ici… La fermeture n’est pas inéluctable. Elle l’est pour M. Mittal dont la ligne de conduite est de toujours chercher moins cher ailleurs. Avec cette logique, les fermetures vont s’enchaîner puisqu’il y aura toujours un coin sur cette terre où produire de l’acier sera moins cher que moins cher » dénonce-t-il avant de replacer le débat sur un plan global. « Au-delà du cas de Florange, la question est de savoir quelle société on désire construire. Si le seul débat est la rentabilité par rapport aux pays à bas coûts de main d’œuvre, personne ne fait le poids. Ne reste plus qu’à fermer la boutique France. »

L’espoir Pour lutter contre un « prédateur en train de détruire l’industrie européenne », multipliant les fermetures (Madrid, Rodange et Schifflange, pour les plus récentes, « près de 1 200 personnes sur le carreau »), la détermination ne suffit pas. Edouard Martin est néanmoins convaincu que, sans les actions syndicales « nous serions morts dans l’indifférence totale depuis longtemps. Nous avons gagné du temps et, aujourd’hui, garder son salaire un an de plus ce n’est pas rien » conclut-il, un brin amer également devant le « grand silence d’une Europe libérale réduite à un grand marché ». Mais sa plus belle victoire, pour le moment, c’est la première reculade de Lakshmi Mittal qui a accepté le principe de la cession d’un outil de production à un éventuel repreneur, « chose qu’il a toujours refusée auparavant. Chaque fois qu’un site était fermé, il était démantelé pour qu’il ne soit surtout pas récupéré par un concurrent. M. Mittal préfère nous voir morts chez lui que vivant chez les autres. » À Florange l’État a jusqu’au 1er décembre pour trouver un acheteur : sur ce dossier symbolique, Arnaud Montebourg, Ministre du Redressement productif joue sa crédibilité, alors que les plans sociaux se multiplient. « J’ai envie d’y croire » explique Edouard Martin, « parce que nous sommes compétitifs et qu’une demande existe potentiellement. Tout près d’ici, Tata Steel qui fabrique des rails TGV importe son acier d’Angleterre. Les hauts-fourneaux de ThyssenKrupp sont installés au Brésil : tous les jours, il fait venir des dizaines de milliers de tonnes d’acier qui sont laminées en Europe. Ce sont deux exemples… »

© Stéphane Louis

Un avenir rouillé ? Si jamais il ne se passe rien à la date fatidique, « plus de 1 200 suppressions d’emplois directes » endeuilleront la Vallée. Pour Edouard Martin, il faut en effet ajouter au chiffre de 629 salariés, qui apparaît le plus souvent dans la presse, les 130 employés de GEPOR, filiale logistique de ArcelorMittal Florange et pas loin de 500 sous-traitants, sans compter « les emplois induits, les commerces, les cafetiers… C’est toute une vallée qui va crever » craint-il, même si l’intégralité du site n’est pas menacée (laminage à chaud, laminage à froid, cokerie et lignes de revêtement emploient encore 2 000 personnes environ). Pour l’instant. À cette perspective funeste, le regard du syndicaliste se fait noir : « Ne resterait plus qu’à se battre pour augmenter le montant du chèque, mais ce n’est qu’un leurre ». Il ne veut pas en entendre parler. « Tant qu’un espoir de vie existe, il faut y aller et tout essayer. De toute manière, on ne peut pas être pire que morts. Alors… » Trois candidats, dont le russe Severstal, semblent aujourd’hui en discussion pour une éventuelle reprise. Une lueur d’espoir.

vous pourriez aussi aimer