J’ai une épée, pièce de Léa Drouet au Maillon

(c) Simon Loiseau

Mêlant sciences humaines, imaginaire et recueil de paroles, Léa Drouet questionne avec un fin cynisme les rapports troubles de nos institutions à l’enfance, dans J’ai une épée.

Avec son ensemble sweat à capuche / short façon tie & dye, Léa Drouet arpente un plateau encombré d’un ensemble de cubes rangés par tailles, donnant l’impression de grands ensembles d’une ville, d’une version miniature du Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe à Berlin, ou d’un… jeu de kapla géant bien ordonné. Cette scénographie s’éloigne de toute austérité possible avec les premiers jeux de lumière faisant briller sa surface d’effets moirés scintillants. Telle une archéologue, l’autrice, metteuse en scène et interprète, cheveux courts et micro scotché à la joue, raconte la redécouverte de ses dessins d’enfance et de photos de classe, oubliés dans des boîtes en carton. Ce prétexte sert d’introduction aussi bien à l’imaginaire enfantin, qu’à nous faire ressentir l’écart perceptif avec les règles et injonctions des adultes qui l’entourent. Le ton ne varie quasiment jamais, usant du récit posé avec cette méfiance des effets délétères du copinage. Tout est livré dans un même calme, une distance certaine invitant à prendre avec sérieux ce qui se dit, sans regarder de haut les histoires ou paroles des plus petits. Une manière aussi de nous faire vaciller dans l’instant, passant de dessins où les personnages ont des fleurs en guise de mains à un signalement pour non respect de la minute de silence en hommage à Samuel Paty. Deux pans d’un même monde d’élèves d’une dizaine d’années : l’un nous fait sourire, l’autre beaucoup moins.

J'ai une épée
J’ai une épée (c) Simon Loiseau

Pris qui croyait prendre

Dès lors, la comédienne rejoue l’engrenage des faits, les mots d’une enfant, l’absence de discussion, le signalement de l’enseignant, le procureur qui s’en empare et les instructions à la Police venant la chercher chez elle, au petit matin, avec un détachement encagoulé et armé pour « Apologie du terrorisme ». L’incongruité – pour ne pas dire l’indécence – du vocable saute à la gorge. Une centaine d’élèves français ont pourtant connu le même sort, les interrogatoires malsains, pleins de clichés sur le rapport hommes / femmes supposé de leurs parents, la radicalisation de leurs frères, les régimes alimentaires particuliers… Le soupçon total et une dizaine d’heures au commissariat dans un sweat rose paillette portant l’inscription I’m amazing. Morgue du réel posé dans un face-à-face avec les jeux d’enfants faisant le monstre sous une cape aux lueurs dichroïques, sans cesse changeantes. L’insolence en regard des frustrations nées des violences verbales et symboliques du corps enseignant, les baguettes dessinant des arcs-en-ciel pour mieux s’échapper de la réalité.

Face aux exclusions

Ainsi Léa Drouet prend-elle le parti des plus jeunes, témoigne depuis leur place sans les singer, nous faisant d’autant mieux écouter. Y passent les différences de considération des lycéens selon leurs filières et leurs origines, les privilèges plus ou moins visibles et la désanctuarisation des établissements scolaires, ni protecteurs ni égalitaires. Elle trace une ligne reliant les exclusions, celle qui passe par le piétinement des valeurs et de l’équité, comme par le poids institutionnel déresponsabilisant et désengageant.

J’ai une épée

Au Maillon (Strasbourg) du 17 au 19 janvier
maillon.eu

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