Insolence locale

Liberté à Brême par la Dinoponera – Howl Factory, Premiers Actes 2010

Alors que le festival Premières porté par Le Maillon et le Théâtre national de Strasbourg a fait les frais de la politique culturelle actuelle, Premiers Actes poursuit, bon an mal an, sur sa lancée avec une 4e édition dédiée au jeune théâtre européen.

Les années se suivent et se ressemblent en Haute-Alsace. Le festival Premiers Actes, porté à bout de bras par une équipe de bénévoles sous la direction de Thibaut Wenger, navigue toujours à vue. Après les coupes budgétaires importantes ayant mis en péril l’édition 2010, voilà qu’elle fait face à une absence, totale et dommageable, de visibilité concernant les subventions de cette quatrième édition à venir. Département et Région n’ont, à l’heure où ces lignes sont écrites, donné aucune réponse quant aux montants alloués (ou pas) pour les aides auxquelles Premiers Actes prétend. « De ces aides dépendent d’autres, européennes, comme Leader+ qui s’aligne à hauteur de 55 % de ce qui est attribué par les Collectivités[1. Programme européen d’aide au développement destiné aux zones rurales – www.una-leader.org] », confie le directeur. « Nous devons donc programmer à l’aveugle ! » Pas de quoi décourager le jeune metteur en scène alsacien qui en a vu d’autres. Après l’avortement de la reconversion des anciennes Manufactures de Wesserling en studio de création artistique, c’est du côté de la friche mulhousienne DMC qu’ils pourraient rapidement rebondir. Thibaut s’y verrait bien diriger un laboratoire théâtral dans le Bâtiment 75, accompagné d’une dizaine de comédiens, à l’horizon 2013. « Mulhouse manque de permanences artistiques », explique-t-il, inspiré par les laboratoires d’Aubervilliers de Gwénaël Morin et son Théâtre Permanent dont il aimerait « reprendre les bases : répéter tous les jours, jouer tous les soirs et transmettre en continu ».

Performances underground
En attendant, la friche accueillera des performances, les 10 et 11 septembre. « Surtout pas plastiques, ces formes théâtrales par excellence » donnent toute leur place aux mots dans des configurations ouvertes, souvent borderline et inclassables comme Mirabella. Mali Arun présente le début de son documentaire sur les Roms de Saint-Denis dont la projection s’arrête lorsqu’elle nous raconte le dérapage de sa relation avec Marcel, son fixeur[2. Personnes employées par les journalistes pour les guider dans des zones de guerre et d’autres où ils n’ont pas de connexions]. Tombé amoureux, il lui construit une maison alors qu’elle utilise ses sentiments à des fins professionnelles. Les rapports se troublent un peu plus lorsque Mali succombe à la tentation et entretient une relation avec lui, plus ambiguë que jamais…

Howl Factory
Fidèle du festival, Mathias Moritz crée, suite à une résidence à l’Agence culturelle d’Alsace, le premier volet d’un triptyque : Chalumeau(x). Parti dans l’idée de monter Le 20 novembre de Lars Norén (tiré du journal de Sebastian Bosse qui ouvrit le feu dans son ancien lycée, en 2006, en Allemagne), le metteur en scène préfère s’en éloigner, pour se « détacher du poids de l’héritage nazi ». Il tombe alors sur les journaux intimes des assassins de Columbine, y « pioche la brutalité d’Éric, nourrit à un cocktail Doom – Nine Inch Nails, et le côté romantique de Dylan » pour composer des listes de mots sur l’amour, les armes, le conformisme, la musique qui sont autant de thèmes pour une écriture fragmentée qu’il mêlera à la sienne dans la pièce. Mathias ajoute une dose de mythologie – Ajax croyant assassiner Ulysse et Agamemnon avant de découvrir qu’on s’est joué de lui et de se suicider – et de cinéma (Elephant de Gus Van Sant, Ken Park de Larry Clark) dans une mise en abîme de nos sociétés violentes. Sur scène, l’hyperréalisme formel se doublera de flashbacks dans lesquels un personnage interprétera des figures historiques comme Benjamin Franklin, nourrissant leur colère face au système. « Les tueurs de Columbine sont les victimes de leurs propres colères et frustrations », analyse Mathias. « Il importe de comprendre les massacres produits là où la civilisation pense assurer sa vie (la famille), ses biens (la banque) et ses savoirs (l’école). »

Sur la grand-route
Autre aventure, celle d’une dizaine d’élèves du groupe 39 (comédiens, metteur en scène et scénographes), tout juste sortis du Théâtre national de Strasbourg, réunis dans le collectif Notre Cairn fondé à la fin de leur première année à l’École. Dans l’esprit du théâtre populaire itinérant de leurs aînés – les “Cadets” allant à la rencontre du public dans les années 1950 –, voilà qu’ils montent Sur la grand-route de Tchekhov dans une… péniche, jouant au fil du Rhin, tout l’été. Cette courte pièce – qui pourrait n’être qu’un songe – se tient dans une taverne bordant un chemin de pèlerinage, une nuit d’orage. Toute frontière entre spectateurs et comédiens abolie, nous voilà au milieu d’un noble déchu ayant sombré dans l’alcool depuis le départ de l’amour de sa vie, de vagabonds et brigands arborant parfois une hache, mais aussi de pèlerins de passage troublés par un énergumène quémandant une vodka qu’il ne pourra payer qu’en échangeant son seul bien : un médaillon. Et dans ce conte sombre, lorsque la belle viendra s’abriter de la pluie, tout s’emballera… comme toujours.

Festival Premiers Actes, en Haute-Alsace, du 26 août au 11 septembre
03 89 77 82 72 – www.premiers-actes.eu

vous pourriez aussi aimer