Frank Kunert photographie son Pays des merveilles

Frank Kunert : Chambre avec vue / Zimmer mit Aussicht

À Offenbourg, le photographe Frank Kunert nous emporte dans son Pays des merveilles, mondes en miniature, absurdes et oniriques.

Un immeuble évoquant les Plattenbau de la RDA. Les rambardes sont proprettes, ornées de géraniums bien entretenus. Ici sèche une serviette. Ailleurs, éclate un parasol jaune et blanc. Au premier regard, il y a quelque chose de guilleret et de tranquille dans ce bâtiment qui se détache sur un fond d’un bleu céruléen. Très vite cependant, la photographie génère le malaise. À bien l’observer, l’édifice n’est en effet qu’une plaque de béton munie de Balcons, qui ferait passer le célèbre Flatiron Building pour un immeuble obèse ! Il n’y a pas de possibilité d’habitation dans cette sinistre utopie architecturale qui résume bien l’art de Frank Kunert. Il commence par créer des maquettes (avec bois, mousse, peinture, etc.) pleines de détails, décors de théâtre en miniature qu’il patine et éclaire avec soin pour leur donner un côté (sur) réaliste. Une fois le diorama construit, il le photographie à la chambre. En forme de variation sur l’absurdité du quotidien, le résultat est bluffant, et possède bien souvent des résonances aussi poétiques que politiques. Ici, évidemment, est pointée la pénurie de logements dans nos sociétés…

Frank Kunert
Frank Kunert : Soirée privée (2011)

Dans les compositions vides d’êtres humains du plasticien allemand – une soixantaine sont montrées, ainsi que quelques maquettes –, le visiteur pense souvent à l’esprit irriguant les dessins de Sempé, les toiles de Magritte ou les films de Tati. Chacune est un véritable conte philosophique mis en image : un monte-escalier dont le rail, passant par la fenêtre, se perd dans un ciel gris, évoque la vieillesse et la mort (Vers le haut), une table somptueusement dressée dans une belle bâtisse dont le dernier convive est assis à l’extérieur, séparé des autres par une élégante baie vitrée, est une variation sur l’exclusion (Soirée privée). Ailleurs, les choses sont plus mystérieuses, laissant l’imagination du regardeur caracoler, comme dans Chef-d’œuvre au cadre mansardé, vision de La Naissance de Vénus de Botticelli coupée, dont ne resterait qu’un gros fragment trapézoïdal somptueusement encadré et accroché dans un musée. Questionnement sur l’art contemporain ? Sur la monstration des toiles iconiques qu’on ne regarde jamais vraiment ? Sur l’essence du Beau ? À chacun de trancher… Dans leurs aberrations logiques, les photographies de Frank Kunert illustrent bien souvent les failles de nos sociétés ou les abîmes de nos existences. Elles sont comme des écrans de projection, oscillant entre humour et non-sens, qui naissent d’un méticuleux travail artisanal. Les dessins de Glen Baxter ne sont pas loin.

Frank Kunert
Frank Kunert : Vers le haut (2016)

À la Städtische Galerie (Offenbourg) jusqu’au 7 avril
galerie-offenburg.defrank-kunert.de

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