Festival Perspectives, 45e édition

Happy Hype © Julie Folly

La 45e édition de Perspectives, festival franco-allemand des arts de la scène, regorge de marionnettes, de mouettes et de cétacés, de robots et d’un jongleur fou ou encore de deux roues en perpétuel mouvement.

Les années passent et ne se ressemblent pas au festival Perspectives, qui étend de plus en plus sa toile sur le territoire transfrontalier reliant Sarre et Moselle. Le rendez-vous des amoureux des arts de la scène prend des couleurs marionnettiques avec deux grands spectacles. Pour la première fois en Allemagne, Yngvild Aspeli investit le Saarländisches Staatstheater (30/05, Sarrebruck) avec son adaptation du Moby Dick de Melville. L’inventivité de la metteuse en scène norvégienne se concentre sur la folie du capitaine Achab et la quête morbide de son équipage. En virtuose, elle varie les effets, multiplie les trouvailles d’écriture scénique et de conception d’une cinquantaine de marionnettes afin de bousculer nos repères, renverser les perspectives en plongeant d’une vue aérienne de la traque jusqu’à l’intérieur des entrailles du cétacé, d’un bateau gîtant sous le grain aux visions hantées d’anges de la mort qui rôdent dans les hallucinations d’un Achab totalement obnubilé par ses vieux démons. Le loup de mer – qui a de nombreuses formes et tailles, imposant un peu plus encore sa domination totale – vocifère et délire en saillies obsessionnelles (livrées en anglais pour conserver le tranchant de la langue originale, surtitrés en français et en allemand) dans un désir jusqu’auboutiste. Le gigantisme de certains pantins renforce les tourments des matelots et l’impression que les manipulateurs forment une armée d’ombres prêtes à tout engloutir. En live, un trio rock signe la bande son agressive de ce voyage sans retour.

Fantômes et mélancolie

Autre adaptation d’un classique, Tchaïka (02 & 03/06, Casino des Faïenceries, Sarreguemines) revisite La Mouette de Tchekhov, dans une mise en abîme de toute beauté : une très vieille actrice, perdant la mémoire, erre dans les coulisses d’un théâtre sans savoir qu’elle doit interpréter Arkadina, l’un des plus beaux rôles écrit par le dramaturge russe. Tout porte à croire qu’il sera son dernier. L’actrice et metteuse en scène chilienne Tita Iacobelli manipule à vue le personnage principal, passant son bras dans sa manche pour mieux jouer du trouble entre son visage (jeune) et celui, marqué par le temps, de la marionnette. Au plus près de sa perception biaisée de la réalité, tout se mélange : bribes du passé, énervement face à ce corps et ses moyens qui lui glissent, petit à petit, entre les mains… Au point de ne plus distinguer clairement ses dialogues avec Kostia de ceux avec son vrai fils, les abandons successifs de Trigorine et ceux des amours de sa vie. Elle se raccroche à la trame de la pièce, seul point d’appui pour tenter de prendre pied. L’Arkadina qu’elle est devenue, illustre comédienne délaissée, revit quelque part grâce à Nina, la jeune première. Dans ce premier spectacle né de la rencontre au Chili entre Tita Iacobelli et la marionnettiste belgo-russe Natacha Belova, le théâtre de Tchaïka – mouette en russe – lui permet de s’inventer une nouvelle vie, entre nostalgie du passé et incertitude de l’avenir. Le présent de sa mélancolie offre des instants de grâce face au miroir, dans un dédoublement marionnette / comédienne des plus poignants, où les époques se superposent comme des souvenirs vivaces.

Perspectives : Tchaïka par Tita Iacobelli & Natacha Belova © Michael Galvez

Homme vs robot

Il y a plus d’un siècle, Karel Čapek inventait le mot robot dans sa pièce R.U.R. (Rossum’s Universal Robots). La compagnie belge Post uit Hessdalen questionne la symbiose entre un duo de jongleur / batteur et des robots cachés dans cinq volumes pyramidaux de bois. Man Strikes Back (31/05-02/06, Chapiteau sur la Tbilisser Platz, Sarrebruck) débute comme un spectacle de cirque contemporain habituel, dans lequel Stijn Grupping fait étalage de ses talents balles en main, les faisant rebondir de module en module. Son compère Frederik Meulyzer, derrière ses caisses claires, le défie par la rythmique dans un ballet de sons et de lignes à la précision diabolique, grâce aux trajectoires toujours plus complexes des balles. Cet incroyable défi au champ des possibles n’est pourtant rien comparé à ce qui se prépare. Les triangles vont se mettre à se mouvoir, recombinant la géométrie de l’espace et challengeant un peu plus les deux interprètes. Notre circassien parviendra-t-il à maintenir ses balles en l’air, à jouer du rebond pour conserver le bon tempo ?

Vélociraptors

Ballet cycliste et musical déjanté, La Bande à Tyrex (02 & 03/06, Jardin du Bâtiment Pingusson, Sarrebruck) est le premier spectacle de 9 spécialistes qui en connaissent un rayon sur le deux-roues à pignon fixe et l’art du déséquilibre orchestré. La joyeuse bande à part s’empare aussi bien des potentialités démultipliées de l’acrobatie (à un, deux, trois et plus) que de l’humour de situation (et de la chute) ou de la fanfare qui déménage sacrément avec cuivres et cordes !

Perspectives : La Bande à Tyrex © Pierre Barbier
Perspectives : La Bande à Tyrex © Pierre Barbier

Dans une quinzaine de lieux en Moselle (Metz, Forbach, Sarreguemines…) et en Sarre (Sarrebruck, Sarrelouis, Völklingen) du 25 mai au 3 juin
festival-perspectives.de

À GAGNER: 3 X 2 PLACES pour Moby Dick de Yngvild Aspeli (en français et en anglais surtitré en allemand et en français), au Saarländisches Staatstheater (Sarrebruck) mardi 30 mai à 20h
mag.poly
magazine.poly

Perspectives : Moby Dick de Yngvild Aspeli © Christophe Raynaud de Lage
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