En guerre

Paul Delvaux, Les Nœuds roses, 1937, Koninklijk Museum voor Schone Kunste, Anvers © Lukas-Art in Flanders vzw/ Photo Hugo Maertens © Fondation Paul Derlvaux, St. Idesbald, Belgique © ADAGP, Paris 2012

Hopper ? Dali ? Certes… mais l’exposition parisienne la plus intellectuellement excitante du moment demeure L’Art en guerre, présentée au Musée d’Art moderne. Une passionnante plongée dans la création en France, entre 1938 et 1947, où se distinguent quelques figures alsaciennes : Joseph Steib, Jeanne Bucher et Camille Claus.

Quelque 400 œuvres d’une centaine de créateurs : le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris examine comment les artistes ont fait face à la guerre et à l’Occupation. Le point de départ ? L’Exposition internationale du Surréalisme de janvier 1938 qui ressemble à une prémonition des sombres événements à venir avec les femmes diaphanes de Delvaux errant, hiératiques, dans les rues d’une cité antique à l’abandon ou les poupées douloureuses de Bellmer. Sont ensuite passées en revue toutes les attitudes artistiques possibles face aux circonvolutions tragiques des années 1940: certaines sont bien connues (Picasso, interdit d’exposition, continuant de créer et érigeant l’art comme moyen de résistance dans son atelier de la rue des Grands-Augustins), d’autres sont de véritables révélations. Il en va ainsi de la section intitulée Dans les camps : on découvre que certains prisonniers – quelque soit la raison de leur internement – réussissaient à utiliser tout ce qui leur tombait sous la main pour créer : papiers d’emballage, boîtes, allumettes, bouts de bois, de fer ou d’os, tout est recyclé pour imaginer d’émouvantes et fragiles œuvres qui sont autant de preuves de l’enfer sur terre…

Joseph Steib, Le Conquérant, 1942 Collection particulière, Strasbourg Photo © Klaus Stoeber

Certains partent en exil, d’autres se réfugient dans la clandestinité, les derniers se compromettent, mettant leur art au service de la Révolution nationale et produisant des œuvres mièvres… Les affaires continuent en effet à Paris : Breker est exposé à L’Orangerie en 1942, année où ouvre le Musée national d’Art moderne (dans le Palais de Tokyo) dont sont soigneusement écartés abstraits et surréalistes… Dans ce panorama complexe, émerge une figure originale, celle de Joseph Steib (1898-1966). Employé au service des Eaux à la Ville de Mulhouse jusqu’au début des années 1940, cet autodidacte – admirateur de l’œuvre de Zwiller – va peindre, dans la clandestinité de sa cuisine de Brunstatt, d’étranges tableaux ici regroupés sous le titre (que lui donna l’artiste lui-même) de Salon des rêves… Évoquant les ex-votos naïfs, ses tableaux sont une charge violente contre les nazis : Hitler représenté en Antéchrist entouré de ses sbires maléfiques, le Führer pendu alors que l’Alsace retrouve la France… Entre violence, art populaire et références (à Arcimboldo) voilà des œuvres étonnantes, sans doute les plus marquantes de l’exposition.

Autre figure importante, celle de la galeriste Jeanne Bucher (1872-1946), une voix dissonante dans le milieu artistique parisien sinistré par l’Occupation et le régime de Vichy qui encourageaient la censure et l’autocensure contre l’art moderne et les artistes “décadents”. Celle qui était née dans l’Alsace allemande avait ouvert une galerie où elle continua, pendant la guerre, à exposer, dans la discrétion, des artistes mal vus, de Klee à Baumeister, en passant par Laurens, Léger, Lipchitz…. L’exposition s’achève par la Libération qui fut aussi une prise de conscience des événements antérieurs, des accommodements de chacun, des compromissions et, plus rarement, des actes de résistance. De la création d’un nouvel art officiel (sous l’égide du Parti communiste) aux Anartistes (le mot est de Marcel Duchamp) qui expriment leur révolte face à tout ordre établi, voilà le début d’une nouvelle aventure… La dernière œuvre de cette brillante exposition date de décembre 1945. Elle se nomme Champ d’honneur. Elle est signée de Camille Claus (1920-2005), artiste alsacien bien connu. Comme un résumé fulgurant et cinglant de ces années douloureuse.

À Paris, au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris (11, avenue du Président Wilson), jusqu’au 17 février
01 53 67 40 00 – www.mam.paris.fr

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