Emportés par la foule

OSCYL © Photo Laurent Philippe

La 19e édition du Festival mondial des Théâtres de marionnettes réunit créations – Héla Fattoumi et Éric Lamoureux s’inspirant d’une sculpture de Hans Jean Arp pour OSCYL – et artistes fil rouge dont Renaud Herbin avec son nouveau projet, Open the Owl.

Choisi par Anne-Françoise Cabanis, directrice artistique du festival, en compagnie d’Agnès Limbos, Renaud Herbin revient en terres connues à Charleville-Mézières, lui qui fit partie de la promotion 4 de l’Esnam1. « Un honneur », reconnaît volontiers le directeur du TJP, « que de participer à cet “Avignon de la marionnette” en mieux, car ce rendez-vous mondial des Théâtres de marionnettes demeure inégalé et inégalable dans l’art de fédérer artistes et public, grâce à un subtil dosage entre formes traditionnelles et historiques – notamment avec des marionnettes du monde (Côte-d’Ivoire, Chili, Japon ou encore Inde cette année) – et contemporaines. » Pour sa carte blanche en temps qu’artiste fil rouge, il a choisi de montrer trois spectacles manifestes, des formes variées créées la saison dernière : un jeune public autour d’une matière fondante se solidifiant (Wax2), une histoire crépusculaire dans un décor lunaire de graphite noir grâce à une structure cylindrique évidée en haut de laquelle il se niche (Milieu qui sera, ici, joué dans une église) et La Vie des formes, issue de sa rencontre avec la romancière Célia Houdart pour les Sujets à vifs d’Avignon 2016. Une marionnette à taille humaine, manipulée sans dispositif de contrôle autre que sa peau, si ce n’est des systèmes de blocage des articulations, proche du poids humain et de son inertie.

Renaud Herbin © Benoit Schupp

Hibou

Mais son grand rendez-vous sera la création mondiale d’Open the Owl avec l’ensemble du Théâtre de Ljubljana l’ayant spécialement sollicité. Pour les 70 ans de cette institution, il s’intéresse à son histoire, partant de l’un des premiers spectacles montés là-bas. Visitant les sous-sol de leurs entrepôts de stockage, « une incroyable caverne d’Ali Baba », il fait son casting, choisit des petites marionnettes charmantes de 20 à 30 cm, « finement sculptées avec beaucoup de détails, les plus anciennes », dont la conservatrice lui affirme qu’ils peuvent réaliser des copies. Pas la quinzaine correspondant aux personnages du conte qu’il adapte, mais 60 ! « J’avais envie d’une foule de marionnettes comme dans mon projet 2018 (At the still point of the turning world) qui devrait en réunir 600 avec une manipulation par un seul point, en hauteur. » Il commande ensuite une retraduction du conte originel Sovi grad (Le Château du hibou)2 et confie à Célia Houdart le soin de s’en inspirer. Elle s’intéresse moins à l’homme qu’au hibou et « sa transformation dans un rapport plus sensible au monde, moins bavard ». Du tout petit castelet de la pièce originelle, entouré de grands rideaux, il casse le point de vue, modifie le rapport frontal au public en revenant à son travail sur la vidéo, interrompu depuis 2006. Grâce à de petites caméras, il scanne le cadre de scène depuis divers endroits, comme si nous étions en coulisses, créant une succession de plans projetés autour, dans deux fenêtres « démultipliant les points de vue sur l’espace tout en déréglant la perception du temps grâce à des travellings fins, autant de moyens de montrer les bouleversements des relations sociales entre les hommes, comme les rapports de classe. »

 

Entités ailées

Avec OSCYL, pièce pour sept danseurs et autant d’entités mouvantes de taille humaine, la création d’Héla Fattoumi et Éric Lamoureux promet d’être une des belles découvertes du festival. Les co-directeurs de VIADANSE à Belfort avaient flashé sur « les volumes et le flux vital émanant des formes et rondeurs des sculptures de Arp, notamment Entités ailées de la collection du MAMCS à Strasbourg ». L’intuition de la mettre en mouvement en la “désoclant” pour arrondir sa base à la manière d’un culbuto faisait son chemin. Après six mois de travail sur des prototypes avec le plasticien et scénographe Stéphane Pauvret, peaufinant le rapport de poids et d’échelle, les voilà « littéralement fascinés par ces compagnons de jeu ayant dépassé nos espérances » confie Éric Lamoureux. « Nous pensions qu’elles oscilleraient simplement, mais pas que nous pourrions les faire tournoyer, virevolter, voire traverser l’espace grâce à une simple impulsion ! » Plus important encore pour le duo s’échappant de la danse pour investir le champ des objets marionnettiques, « la palette de toucher et de contact est immense. Nos sept Oscyls, tous différents dans leurs équilibres et volumes créent un autre rapport au temps, impulsent le mouvement et la danse. Aux interprètes d’écouter le mouvement de cet autre imaginaire révélé à la danse ». Mais leur prise en main par les danseurs n’a pas été qu’une partie de plaisir. Il a fallu apprivoiser ces présences d’au moins 1,70 mètre pour 30 kg, constituées en mousse de planche à voile avec une âme au centre et un socle en demi cercle, le tout recouvert de résine rigide… mais fragile aussi, nécessitant un réel degré d’attention pour altérités étonnantes, médiatrices des relations entre les hommes et femmes interagissant avec. L’ensemble conserve une part d’aléatoire dont les chorégraphes s’emparent avec l’ivresse d’un jeu d’enfant dont ils inventent des règles peu décryptables par le public mais que les danseurs ont loisir de transgresser, « comme le font tout seul les Oscyls, bousculant les contours du collectif et de la communauté réunie » s’amuse Éric Lamoureux qui se plait à constater « qu’on n’échappe pas à Arp, sa dimension poétique comme ses postures philosophiques ». La légende veut qu’il y a deux ans, il ait malencontreusement fait tomber une sculpture monolithique dans un musée Bordelais, l’ébréchant par un – heureux, puisque déclencheur de l’envie de ce spectacle – accident. C’est avec la délicatesse qui le caractérise que le créateur approche aujourd’hui l’objet, « conscient que se mettre à disposition d’autrui génère un pouvoir de révélation unique ».

 

 Le Festival mondial des Théâtres de Marionnettes (Charleville-Mézières) se déroule du 16 au 24 septembre

festival-marionnette.com

 

OSCYL, création à Charleville-Mézières les samedi 16 et dimanche 17 septembre puis en tournée

> à L’Arsenal (Metz) dans le cadre de la Biennale de la Danse Grand Est (Exp-Édition 2017), jeudi 12 octobre

> à La Commanderie (Dole), mardi 16 janvier

> à La Maison du Peuple (Belfort dans le cadre du festival Frimats avec Ma Scène nationale), jeudi 25 et vendredi 26 janvier

> à L’Espace (Besançon), mardi 30 et mercredi 31 janvier

> au Théâtre national de Chaillot (Paris), du 22 au 24 février

> à La Filature (Mulhouse), jeudi 19 avril

viadanse.com

 

Open the Howl, création à Charleville-Mézières lundi 18 et mardi 19 septembre puis en tournée

> au TJP (Strasbourg) durant le Festival Les Giboulées, du 16 au 24 mars

tjp-strasbourg.com

 

À retrouver aussi durant le Festival trois pièces de Renaud Herbin

> La Vie des formes, à Charleville-Mézières les samedi 16 et dimanche 17 septembre puis à la CDE (Colmar), mercredi 27 et jeudi 28 septembre

> Milieu, à Charleville-Mézières du 15 au 21 septembre puis au CDN Nanterre-Amandiers du 6 au 11 mars

> Wax, à Charleville-Mézières mercredi 20 et jeudi 21 septembre puis en décentralisation du 22 septembre au 2 octobre puis à La Minoterie (Dijon) du 14 au 16 décembre et aux 2 scènes (Besançon) du 24 au 28 avril

renaudherbin.com 

 

1 École nationale supérieure des arts de la marionnette – marionnette.com

2 Voir Poly n°191 ou sur poly.fr

3 L’histoire d’un chevalier transformé en hibou par un mauvais sort. Un homme lui arrache des plumes qui lui permettent à chaque fois d’exaucer un vœu, conquérant ainsi le pouvoir jusqu’à ce que l’oiseau soit totalement déplumé et qu’il perde tout.

 

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