Double je

Grâce à des budgets sanctuarisés[1. De la Ville de Strasbourg (60% du budget), la Drac (pour 30%), les 10% restants provenant de divers partenaires et de fonds propres], Pôle Sud accueille dans une résidence au long cours[2. La première partie de la résidence se déroule de janvier à juin. Elle sera suivie de la création de Bal en Chine, en janvier 2013, à Pôle Sud] la compagnie Caterina et Carlotta Sagna. Rencontre avec Caterina, l’aînée des sœurs chorégraphes.

Vous dites être habituellement plus stimulée par l’artistique que par les actions périphériques. Elles seront pourtant nombreuses : ateliers théorique, chorégraphique et choral, workshop autour de Nuda Vita… Qu’est-ce qui vous a décidée ?
La liberté offerte par Pôle Sud de faire ce que l’on veut, sans contraintes. Chaque membre de la compagnie a un répertoire de propositions bien différentes autour de la présentation de plusieurs de nos pièces. Cette articulation de spectacles et d’actions tournées vers le public permet de rencontrer des gens sensibles à nos propositions artistiques. Ceux qui viendront danser, chanter et créer avec nous connaissent notre travail et auront donc une envie plus aiguë d’y participer. C’est très stimulant d’essayer des choses avec eux.

Les ateliers et créations de la résidence concernent des publics variés : étudiants, amateurs, professionnels, enfants. Vous allez travailler comme dans votre compagnie ?
Oui, nous allons décliner notre mode de création avec ces personnes. Dans la compagnie, président une confiance réciproque et une grande conscience des rôles de chacun. Notre estime mutuelle de travail et de regards nous permet de laisser de la place aux désirs et envies des différents membres. J’envisage cette résidence comme l’occasion de grandir ensemble dans un nouvel environnement.

Carlotta et Caterina Sagna, en répétitions © Maarten Vanden Abeele

Vous parlez de résidence comme laboratoire d’idées nourrissant vos créations. Que pensez-vous y puiser ?
C’est une occasion de vie qui, comme tout événement, nourrit notre travail, même indirectement. Quand on enseigne, on apprend aussi énormément de ces échanges. Je pense que l’homme à besoin d’apprendre, au moins un petit peu chaque jour, sinon il meurt à petit feu.

Une des spécificités de vos créations est l’importance de la dramaturgie, qui est d’habitude plus du ressort du théâtre que de la danse…
Carlotta et moi avons deux façons distinctes d’aborder la dramaturgie. Depuis 2001, je travaille avec l’auteur et dramaturge Roberto Fratini Serafide. Avant ça, tout mon travail s’appuyait déjà sur des textes de Kafka, Büchner ou Cocteau. Tout part d’une narration, pas forcément logique ou chronologique, mais chaque scène prend appui sur du concret, une situation reconnaissable. Dans ma danse, la raison du mouvement a une réalité dans la vie. Ce n’est pas que du ressenti. Le travail avec un dramaturge permet d’aller plus vite et plus rapidement en profondeur. Les mots ne sont pas mon langage favori, je leur préfère le corps. Roberto m’aide en apportant des choses que je n’aurais pas trouvées seule. Je suis dans la pratique et la sensation, lui dans les mots et le théorique. Cela me nourrit, me renforce et contribue à renouveler mon travail.

La première pièce que vous présentez sera Nuda Vita qui traite des mécanismes d’exclusion avec une apparente légèreté. Vous allez jusqu’à parler de saleté et de puanteur qui se dégagent des situations de la pièce…
Les termes sont forts. Les quatre personnages sont complices. Ce sont des frères et sœurs ou des amis très proches avec un passé commun important. On découvre petit à petit la gravité de ce qui les réunit mais aussi qu’ils sont à l’origine de ces faits. Le mécanisme de ce passé commun les exclut des autres. De cette séparation se dégage une puanteur qui croît au fur et à mesure qu’on pénètre, sur scène, en elle. Le mécanisme se propage à l’intérieur même du groupe et l’exclusion se joue entre eux, cassant les apparences. Le tout est présenté avec beaucoup de légèreté car ils ont quand même grandi ensemble et ne se jugent pas. C’est leur façon de vivre. D’ailleurs, le public est le premier à comprendre ce phénomène car c’est le premier exclu de la situation !

L’humour est un fil rouge de vos spectacles, comme s’il fallait aussi rire du pire ?
Quand on parle de choses graves, pouvoir en rire crée un espace permettant d’aller plus en profondeur, de s’ouvrir et de décharger une quantité d’énergie nécessaire pour plonger en soi.

Parlez-moi de la conception de Nuda Vita. Carlotta et vous êtes parties de mots ou de situations pour construire la narration ?
Il y a de nombreux processus différents. Parfois c’est un état émotionnel, d’autres fois une situation totalement concrète. Ici, c’est une histoire de mots. Il est rare qu’on commence à bouger sans savoir pourquoi. Ce n’est pas ce qu’on fait qui compte, mais pourquoi on le fait ! Mon rôle est de comprendre quel geste exprime le mieux notre volonté, notre sujet précis. Chaque interprète est à la création de ses propres mouvements. Ce sera pareil dans nos ateliers : il faut trouver et construire une manière de penser qui amène le mouvement.

Vous êtes venue danser à Strasbourg pour la première fois, il y a dix ans, avec La Signora. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Je dirais, comme une évidence, la conscience. La Signora était un moment charnière pour moi car c’est avec ce spectacle que, pour la première fois, je réussissais à faire de l’ironie. Après dix ans de spectacles intimistes, j’arrivais enfin à rire de moi et à regarder le public en levant la tête. Mais j’en étais totalement inconsciente. Je m’étais jetée là-dedans comme dans un lac, sans savoir si je pourrai y nager et le traverser. Je n’avais qu’une envie : recommencer ! Depuis, je continue de chercher des esthétiques différentes, en prenant des risques.

Nuda Vita de Caterina et Carlotta Sagna, à Strasbourg, à Pôle Sud, mardi 24 et mercredi 25 janvier
03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr

Ad Vitam de Carlotta Sagna, à Belfort, Au Granit, jeudi 2 février
www.legranit.org

Cuisses de Grenouille de Carlotta Sagna (dès 7 ans), à Vandoeuvre-lès-Nancy, au Centre culturel André Malraux, vendredi 9 et samedi 10 mars http://centremalraux.com/
& à Strasbourg, à Pôle Sud, du 2 au 4 avril

03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr

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