Météores au festival Décadanse

Silent pets © Biagio Sivilla

Pour la seconde édition de Décadanse, les Scènes du Nord Alsace observent le rapport au vivant et les troubles de la psyché en société.

En résidence pour trois ans dans les Scènes du Nord Alsace, la compagnie franco-italienne Ez3 du chorégraphe Ezio Schiavulli a la part belle dans le festival Décadanse. Après avoir présenté diverses étapes de ses deux dernières créations aux moments clés des répétitions dans le cadre de Network Grand Est (un rendez-vous mensuel dans chaque lieu partenaire), il peut enfin faire découvrir l’aboutissement de ce travail. Dans Heres, Nel nome del figlio (27/01, Relais culturel de Wissembourg), il interroge la figure du père, éclairé par la lecture du Complexe de Télémaque du psychiatre Massimo Recalcati. Dans ce solo qu’il interprète lui-même, Ezio fait face à deux batteries, lui qui a toujours été “le fils de”, grandissant aux côtés de Nino, batteur renommé. Entre Dario De Filippo et Donato Manco, le jeune quarantenaire fait face à son paternel et à leur histoire empêchée. Il danse au milieu des deux imposants instruments, rehaussés sur pieds et roulettes, tournoyant autour de lui. L’affrontement symbolique est aussi musical, “pulsationnel”. Subissant les assauts du rythme effréné des baguettes, il plie mais ne rompt pas. Son corps s’anime de bouffées d’air salvatrices, et se défait de la gangue accumulée depuis tant d’années, dépassant la violence initiale pour toucher à la poésie des gestes. 


The Game 

Ce rapport physique aux êtres se retrouve aussi dans Jeux de société (26/01, Espace Rohan, Saverne puis en tournée1), qui nourrit une réflexion autour des ruptures et des déséquilibres maillant les relations humaines. Ezio Schiavulli s’inspire du concept des “états du Moi” du psychiatre Éric Berne. Mais aussi de l’univers poétique de Kafka sur le rivage de Murakami et des métamorphoses sociétales de La Ferme des animaux d’Orwell. Six danseurs expérimentent à partir de jeux réels, choisis aléatoirement mais toujours très physiques, les processus d’affiliation faisant qu’au sein d’un groupe qui s’auto-évalue, se composent et se recréent une chaîne d’identités sociales et de relations de pouvoir. Mis en compétition – seul le vainqueur peut interpréter le solo écrit pour lui –, leurs battements, souffles et glissements sont captés par des micros. Ils sont réinjectés en live dans des nappes sonores, tour à tour harmoniques et dissonantes, sur lesquelles tous doivent danser… et tenter de gagner la prochaine épreuve. Entre évocation du rêve et utopie chorégraphique, naît un groupe guidé par l’implacable balancier oscillant entre besoin d’appartenance et volonté d’émancipation.

Poètes voyants 

Il sera enfin possible de découvrir une pièce de répertoire d’Ez3 avec Silent poets (24/01, MAC de Bischwiller) qui explore l’univers des pathologies borderline dans un concept scénique à 360 degrés. S’inspirant de Baudelaire, Janis Joplin, Jimi Hendrix ou Pasolini, il convoque un trio de danseurs embarqués dans les troubles de personnalité limite (TPL) entraînant des difficultés à contenir les émotions ou à maîtriser les impulsions. Absence de frontière entre névrose et psychose, instabilité des relations interpersonnelles et de l’humeur, sentiments chroniques de vide et d’abandon prennent corps dans des relations triangulaires où se multiplient portés et passages virtuoses au sol, intranquillité permanente et mouvements perpétuels hantés par l’autre, celui qui se niche en nous comme celui qui se tient à nos côtés en un miroir déformant. Les artistes invoqués ont tous en commun cette part d’ombre nourrissant le besoin de dénoncer les dysfonctionnements, les injustices et l’hypocrisie. 

Manières d’être vivant 

Autre temps fort du festival, la création de Broutille (24 & 25/01 à La Saline, 31/01 & 01/02 à La Castine, puis en tournée2) par la compagnie alsacienne Bleu Renard. Une pièce chorégraphique pour une centaine de doudous, une danseuse et un musicien usant du violon, de la guitare et de la voix. Jetées en tas, les peluches quittent cet amoncellement de douceur poilue sous l’action des interprètes qui utilisent la forme du conte pour nous mener dans une approche sensible aux rapports que nous entretenons avec nos amies les bêtes. Sont ainsi battues en brèche les questions de filiation, de fraternité, de territoire, de rivalité, de domination ou encore de coopération. Rien de futile derrière une apparente légèreté, mais de vrais sujets à considérer, à hauteur d’enfant (dès 3 ans). 


À La Castine (Reichshoffen), à L’Espace Rohan (Saverne), à la MAC (Bischwiller), à La Nef (Wissembourg), à La Saline (Soultz-sous- Forêts) et au Théâtre de Haguenau du 24 janvier au 4 février 
scenes-du-nord.fr 

1 À voir également à l’Espace Georges Sadoul (Saint-Dié-des-Vosges) 20/01, à Pôle Sud (Strasbourg)
07 & 08/02, à la Salle Europe (Colmar) 10/02 et à L’Arsenal (Metz) 17/05 – ezioschiavulli.com 

2 En tournée à La Passerelle (Rixheim) 03 & 04/02 dans le cadre du festival Momix, au Relais culturel d’Erstein 07 & 08/02, à la Salle des Fêtes (Munchhausen) 08/04 dans le cadre de Sur les Sentiers du Théâtre, à La Maison des Arts (Lingolsheim) 05 & 07/05, à Mangiennes 09/06 avec Scènes et Territoires – bleurenard.com 

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