Camera-man

Photo de Julia Richard pour Poly

I am a Camera, clame Cascadeur, le visage caché par son éternelle visière de pilote, sur son troisième album traitant de notre société du contrôle. Drone de rencontre, dans son antre messine.

Le studio de Cascadeur, une double pièce capitonnée suréquipée à la moquette écarlate, se situe au fond de son spacieux appartement du centre à Metz. Nous traversons la salle à manger lorsqu’il pointe du doigt l’immeuble d’en face, un hôtel où « les vies qui se superposent » lui ont inspirées On TV, morceau évoquant le zapping de notre œil lorsqu’il passe d’une fenêtre à une autre, d’une scène à l’autre. Un jour, ce jeu lui a offert le spectacle d’une torride étreinte presque gênante… Point de départ d’une chanson de son nouvel album, tournant autour du thème du voyeurisme, de l’espionnage, de la surveillance. Un disque faisant écho à notre époque de réseaux sociaux, empreintes numériques et mouchards 4.0. Alexandre Longo (son vrai nom) n’est pas un voyeur mais un fin observateur, pro tant de son anonymat pour sonder le monde, voir sans être vu, se risquant parfois à se glisser dans la fosse avant ses prestations et à tendre l’oreille pour écouter les commentaires de son public, incognito. « Je suis un homme- caméra. Le monde se reflète sur ma visière et avec l’éclairage, j’aperçois mes propres yeux et me demande alors : “Que se passe-t- il à l’intérieur de ce corps-machine ?” » Dans son cockpit, face à ses enceintes aux formes oculaires, il « réalise » ses morceaux et les met en scène, comme un chef op’. « Après, chacun y projette ses fantasmes », continue- t-il en lant la métaphore cinématographique. Au milieu de ses machines, claviers et synthés (« J’en ai nettement moins que Christophe », relativise-t-il), Alexandre évoque un dernier album plus recentré sur lui que Ghost Surfer* qui conviait de nombreux guests : Christophe, donc, mais aussi Stuart Staples ou Tigran Hamasyan. Un casting resserré mais une musique ample et patinée, évoquant le thème de James Bond ou les ambiances hitch- cockiennes de Fenêtre sur cour. À la manière d’un brocanteur / jongleur, il passe d’un instrument vintage à l’autre, enchaîne les titres léchés, mais “abimés” par des craquements de vinyles et parasités par des sons urbains et des souf es anciens, « comme chez Keith Jarrett qui doublait à la voix ce qu’il jouait au piano : on dirait un vieil Indien ! »

Tour de contrôle
Alexandre fouille sur ses étagères et dégote, entre une sorte de Big Jim cascadeur sur sa moto immaculée et sa Victoire de la Musique 2015 (catégorie “album de musique électronique / dance”, ne me demandez pas pourquoi…), un épais carnet de notes à la couverture rigide. Les pages, marquées par des post-it bariolés, sont noircies de remarques et impressions. Chaque partie correspond au visionnage d’un film ayant donné naissance à des chansons. Les longs-métrages en question ont pour la plupart été tournés « durant la guerre froide et le conflit entre les deux blocs » : Blow Out dans lequel Travolta, maniaque du son, disséque l’enregistrement d’un meurtre, ou Body Double, également de Brian de Palma, où le protagoniste épie sa voisine qui sera assassinée sous ses yeux. Il y a aussi La Jetée de Chris Marker, Caché de Michael Haneke et bien d’autres œuvres paranoïaques traitant de la surveillance et du lage. Le clip de Turn To Dust, réalisé par Akim Laouar Aronsen, met en scène Luc Bruyère, magnifique mannequin ayant la particularité de n’avoir qu’un bras, et Cascadeur, traqué par un drone. Pour vivre heureux, le Messin vit planqué sous son casque ou dans sa tour d’ivoire – sa Control Room – à l’écart d’un monde contemporain auto-fliqué et hyper-intrusif. Et si le vrai luxe, c’était la discrétion ?


À La Gaîté Lyrique (Paris), mercredi 16 mai
gaite-lyrique.net
À La BAM (Metz), jeudi 24 mai
trinitaires-bam.fr

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