Black Sea Dahu : a Family Affair

© Paul Märki

Derrière la folk sauvage et les textes à la beauté renversante de Black Sea Dahu, il y a Janine Cathrein, clé de voûte du sextet suisse. Rencontre avec une artiste habitée, chanteuse des plaies intimes, qui jamais ne triche.

Quand la plupart passent leur vie à se détacher de leurs parents, vous avez choisi, à 30 ans, d’intituler ce nouvel album I Am My Mother. Pourquoi ?

« J’espère ne jamais devenir comme ma mère ! » Cette phrase, je l’ai souvent entendue et prononcée moi-même. Pour beaucoup, être comparé à l’un de ses géniteurs sonne comme une insulte, probablement du fait du rapport complexe que chacun entretient à la figure parentale. Ayant une relation très conflictuelle avec ma mère, j’avais besoin à ce stade de renverser cette idée. Il est évident que « je suis ma mère » : elle m’a engendrée, je suis née de sa chair, de son histoire… Je ne peux rien face à cette vérité. En revanche, le point de vue avec lequel je l’envisage dépend bien de moi. Tout ce disque ne parle que de cela, des racines, de la famille, de la dialectique entre le Moi et les autres.

Black Sea Dahu, Le temps se fuit
Black Sea Dahu, Le temps se fuit

Comment votre mère a-t-elle réagi à cet opus ?

Nous n’avons jamais eu de vraie conversation à ce sujet. Elle est sur la défensive. C’est compliqué pour elle de me voir évoquer notre relation dans mes lyrics ou en parler dans la presse.

Dans la chanson éponyme, vous avez aussi un couplet sur votre père et un pour chacun de vos frère et soeur, tous deux membres du groupe. Ce disque est-il une affaire de famille ?

Oui, je le crois, mais la famille ne se réduit pas aux seuls liens du sang. J’y inclus les personnes que j’ai choisies pour faire partie de ma vie : amis et amours.

Parmi les sept pistes, il y a notamment le sublime One and One Equals Four, avec son texte désarmant…

C’est une chanson sur le polyamour. Pour moi, aimer de façon exclusive n’a pas de sens. J’étais en couple avec un homme et suis tombée amoureuse de deux autres personnes. Chaque relation était singulière et unique : je voulais explorer ces histoires coexistantes. Dans mon univers, c’est ainsi, un et un font quatre, pas deux. Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde… et, de façon assez tragique, j’ai fini par tous les perdre.

Black Sea Dahu, Transience, réalisé par Vera Cathrein & Paul Märki
Black Sea Dahu, Transience, réalisé par Vera Cathrein & Paul Märki

Il y a une intensité viscérale dans vos chansons. Que représente la musique pour vous ?

C’est comme mettre mon âme à nu. Mes textes sont très proches d’un journal intime. Ils sont un miroir tendu, dans lequel je cherche à me voir depuis l’extérieur. Et c’est loin d’être toujours beau à regarder ! Les écrire, c’est m’écrire moi-même, à l’image de Frida Kahlo dans ses autoportraits. Si vous saviez tout ce que j’y mets de moi ! Mes joies, mes peines, mes tourments dépressifs, mes désespoirs… L’écriture a toujours été ma porte de salut. À dix ans déjà, j’avais constitué un recueil de poèmes… que j’essayais de vendre 5 francs suisses à ma famille ! [Rires]

Pouvez-vous me parler de Glue, autre morceau très émouvant ?

C’est une chanson sur ma grand-mère, Sybille, qui a souffert de démence sénile pendant près de quinze ans. Elle ne nous reconnaissait plus et passait ses journées assise dans un fauteuil roulant. J’allais parfois lui jouer du violon : Tchaïkovski et autres classiques qu’elle aimait. Je garde à jamais en mémoire un moment très fort où, levant les yeux au beau milieu d’une partition, j’ai vu les larmes couler sur son visage ridé. Quand je m’y attendais le moins, la musique avait tendu ce pont émotionnel entre elle et moi, par-delà l’oubli. Glue est une chanson sur elle, sur ce que c’est de voir sa vie s’évanouir dans les limbes, mais aussi sur la perte de mémoire coupable de nos sociétés faisant sans cesse fi du passé et répétant les mêmes erreurs à chaque génération.

À l’écoute de cet album, l’auditeur est embarqué dans un voyage. Cet effet orchestral et cinématographique est-il recherché ?

C’est une chose très importante pour moi, qui me vient sans doute de ma formation au conservatoire. Il n’y pas d’orchestre réel sur le disque ; tous les instruments présents sont joués par le groupe. Mais le 4 novembre, nous nous produirons à Potsdam avec le Deutsches Filmorchester Babelsberg. Le rêve devient réalité ! La musique est tellement plus profonde quand elle est interprétée par une formation symphonique : c’est comme ouvrir une porte et entrer dans une pièce dix fois plus grande. Le classique a été mon premier grand coup de foudre. Depuis, j’essaye de le combiner avec l’indie folk, la chanson à texte, la pop, le rock psyché… Je suis aussi une polyamoureuse musicale !

Black Sea Dahu, I am my Mother

À La Rodia (Besançon) samedi 19 novembre, à La Poudrière (Belfort) dimanche 20 novembre, au Kulturzentrum (Esslingen) jeudi 1er décembre et au Club Artik (Fribourg-en-Brisgau) mardi 13 décembre
blackseadahu.com

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