Au Cartoonmuseum, plongée au cœur de l’œuvre d’Alison Bechdel

Rétrospective dédiée à Alison Bechdel, The Essential est une plongée au cœur de l’œuvre d’une figure centrale de la BD LGBTQIA+. 

Il est des livres qui font bouger les lignes de la société : Fun Home (Denoël Graphic, 2006) en fait partie. Dans cette Tragicomédie familiale – sous-titre de l’album –, Alison Bechdel conte son enfance dans une Pennsylvanie rurale, mettant en place un dispositif narratif original qui joue avec les temporalités puisque le même événement se répète, éclairé, à chaque fois, par de nouvelles données. Dans ce questionnement des relations de l’autrice avec son père, elle découvre sa propre homosexualité et celle, dissimulée depuis de longues années, de son géniteur lorsqu’il disparaît dans un accident – à moins qu’il ne s’agisse d’un suicide – à quarante-quatre ans. Piqueté de multiples références (de l’histoire d’Icare, de Dédale et du Minotaure au Mythe de Sisyphe d’Albert Camus, en passant par Gatsby le Magnifique), le roman graphique, plein de finesse, que sa créatrice a mis sept ans à réaliser, est servi par un trait d’une grande précision, qui séduit plus encore lorsqu’on découvre les originaux, avec leurs délavés de gris. Si le succès est au rendez-vous, l’ouvrage a fait l’objet de plusieurs tentatives de censure. Aux États-Unis, certains demandent notamment qu’il soit banni de différentes bibliothèques publiques : une médaille épinglée au revers de la bédéiste, qui continue à creuser le sillon autobiographique avec C’est toi ma maman ? (Denoël Graphic, 2013) – variation sur l’épouse malheureuse d’un gay refoulé qui maintient les apparences d’une famille bourgeoise – ou Le Secret de la force surhumaine (Denoël Graphic, 2022), dans lequel elle part à la recherche d’elle-même dans des compositions pleines d’humour où s’invite l’aquarelle. 

 

Quelque 250 planches originales, une flopée de travaux préparatoires, des photographies, objets et autres films forment un parcours permettant de mieux connaître une artiste qui mêle profondeur et légèreté dans des œuvres éminemment politiques, au croisement de l’autofiction et de l’essai philosophique. Au fil des salles, le visiteur découvre ses racines, plongeant dans les années 1980 avec Lesbiennes à suivre (Prune Janvier, 1994)… Un des points forts de l’exposition est la présentation des pages du récent Spent (HarperCollins Publishers, 2025, pas encore traduit), où l’alter ego d’Alison Bechdel interroge l’éthique à l’ère du capitalisme débridé sur un mode hilarant. Ce qui illustre, s’il le fallait, que la créatrice du test de Bechdel-Wallace – permettant de savoir si une œuvre de fiction véhicule des clichés sexistes –, pour militante qu’elle soit, sait conserver la distance (auto)critique nécessaire… 


Au Cartoonmuseum Basel – Centre pour l’Art narratif (Bâle) jusqu’au 26 octobre
cartoonmuseum.ch 

> Visite en français 24/08 & 12/10 (14 h) 

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