À l’Est d’Eden

Après sa comédie brechtienne[1. Voir notre interview autour de Maître Puntila et son valet Matti, dans Poly n°152], Guy Pierre Couleau change une nouvelle fois de registre en montant la première tragédie américaine : Désir sous les ormes d’Eugene O’Neill. Une plongée dans l’Amérique profonde du milieu du XIXe siècle où l’argent et le pouvoir dominent déjà les relations entre les êtres.

Nouvelle-Angleterre, 1850. La ferme du tyrannique Ephraïm Cabot, parti en ville voilà deux mois, bruisse d’envies refoulées. Siméon et Peter n’en peuvent plus d’attendre la mort de leur vieux, suant sang et eau entre les bêtes et les tâches harassantes d’une terre pierreuse, impropre à la culture. Ils ne rêvent que de Californie et de ruée vers l’or qui, paraît-il, coule à flot à l’autre bout du pays. Eben, né de la seconde union du paternel, n’attend que leur départ, peinant à contenir sa colère contre le responsable de la mort de sa mère, bien décidé à récupérer ce qu’il estime lui revenir de droit, domaine et bétail. Le retour en grande pompe du vieil homme convolant en noces avec l’électrique Abbie, deux fois plus jeune que lui mais tout aussi avide de réussite, dynamite le fragile équilibre reposant jusqu’ici sur la terreur. Ses deux fils aînés le laissent en plan pour l’aventure dans le grand Ouest sauvage tandis qu’Eben et Abbie s’attirent, irrémédiablement. Terrible sera la suite… Avant Faulkner et Steinbeck, O’Neill (Prix Nobel de Littérature en 1936) donne voix aux « petites gens de la jeune Amérique, ce monde en construction, gorgé de violence », confie Guy Pierre Couleau. Dans une langue expressive, témoignant d’une intimité brute, écrite dans une oralité dévoilant le prisme d’une humanité en souffrance, « les paroles des personnages sont organiques. Les mots sortent comme le pouls, comme des coups, emprisonnant les uns aux autres, à l’image de Cabot, justifiant sa violente par le message divin. »

Ici, les rêves se brûlent les ailes au contact de la réalité, l’incandescence de l’inassouvi consume les hommes qui semblent condamnés à cuire sous un soleil de plomb. Sous les ormes, les murs de pierre finissent par emmurer les cœurs. O’Neill fait se rejoindre l’ancien et le nouveau monde, et l’on retrouve chez la cupide mais sentimentale Abbie les ravages de la passion d’une Phèdre autant que la tragique folie d’une Médée. S’inspirant des portraits de Richard Avedon et des films de Sam Shepard, remplis de saoulards crasseux, le metteur en scène construit « une esthétique seventies où le bonheur résidait dans l’abondance, les objets en plastique et le pétrole. Un rêve dont le désastre symbolique rejoint celui de la pièce : l’annonce d’un monde coupé de ses racines, pouvant s’écrouler à tout moment, foutu par l’édification en dogme de la possession. Telle est l’ombre planant sur la pièce. »

À Colmar, à la Comédie de l’Est, du 18 au 29 mars
03 89 24 31 78 – www.comedie-est.com

À Mulhouse, à La Filature, du 8 au 11 avril
03 89 36 28 28 – www.lafilature.org

À Thionville, au Nord-Est Théâtre, mardi 15 et mercredi 16 avril
03 82 82 14 92 – www.nest-theatre.fr
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