Tableau cru et humain dans Prendre soin, au Théâtre national de Strasbourg

Prendre soin © Gianmarco Bresadola

Prendre soin, création signée par le metteur en scène britannique Alexander Zeldin, décrit sans passer par quatre chemins la vie douloureuse et précaire d’un groupe de travailleurs de nuit.  

Adaptation en français de Beyond Caring (2014), premier volet de sa Trilogie des Inégalités interrogeant, à travers différentes histoires, la solitude et la misère sociale*, Alexander Zeldin renoue, dans Prendre soin, avec ses cinq travailleurs frappés par les épreuves. La colonne vertébrale faisant la richesse du texte originel tient aussi au fait qu’il s’est lui-même immergé dans une usine, auprès d’une équipe de nettoyage, avant de faire participer de véritables agents d’entretien lors des toutes premières répétitions. Après avoir transposé le quotidien de ces invisibilisés de la société dans une version allemande, en 2022, il les convoque de nouveau et en modifie les noms, encore une fois. Trois femmes et deux hommes se rencontrent ainsi durant un entretien d’embauche, dans la salle de chargement d’une usine de viande. Sommaire, on y trouve une table, des chaises, une machine à café, un frigidaire, des cages de retournement pour le bétail et quelques casiers. Dans un coin, une porte donne sur les W.C. et l’on identifie, bien vite, que cet espace ne respire pas la propreté. 

Prendre soin © Gianmarco Bresadola


Ici, c’est Nassim qui dicte sa loi. Jeune homme de 27 ans responsable de l’équipe de nuit, il dirige la machine à grand renfort de fermeté. Antipathique et insensible, il jongle entre Philippe, quinqua discret mais habitué de la maison, et trois nouvelles intérimaires : Louisa et Susanne, qui n’hésitent pas à s’affirmer, mais aussi la jeune, douce et timide Esther, dont la maladie articulaire chronique fait tourner plus d’une fois en bourrique une partie de ses camarades. « Qu’est-ce que tu fous ? T’as fait les chiottes ? » lui assène Louisa, quand Nassim la remballe sans ménagement alors qu’elle propose d’améliorer leur chaîne de travail. Au premier abord, leur petite bande semble bien dysfonctionnelle. Et lorsqu’un moment d’apaisement apparaît, il ne dure malheureusement pas bien longtemps. Pendant une pause, Philippe feuillette un livre. Esther lui demande de lire un extrait à haute voix, et la discussion dévie sur la spiritualité et la religion. Nassim finit par annoncer une mauvaise nouvelle à Louisa… et l’on ne tarde pas à découvrir que cette forte tête fait absolument tout pour entretenir une relation stable avec sa fille, alors que Suzanne n’a pas toujours un toit sur la tête pour dormir, le soir. Entre égoïsme, indifférence de l’être humain et lente naissance d’un esprit de solidarité, Alexander Zeldin dresse un tableau de réalisme cru jusqu’à la moelle qui accapare notre attention, aussi bien qu’il ne nous laisse définitivement pas de glace.


Au Théâtre national de Strasbourg du 7 au 17 octobre et au Théâtre populaire Romand jeudi 11 et vendredi 12 décembre (La Chaux-de-Fonds) 
tns.frtpr.ch 

*Love (2016) plonge dans un centre d’hébergement temporaire britannique, à la veille de Noël, et Faith, Hope and Charity (2020) met en scène une banque alimentaire à bout de souffle menacée de fermeture

vous pourriez aussi aimer