Cosmos kinois

Gosette Lubondo, Imaginary Trip #7, 2016

Performeur et plasticien strasbourgeois, Androa Mindre Kolo a co-commissionné Kinshasa Chroniques : une exposition fleuve au Musée international des Arts modestes (Sète) en neuf chroniques contemporaines de la capitale de RDC.

Si Brassens y est né il y a presque cent ans (1921) et Paul Valéry un demi-siècle plus tôt, Sète attire aujourd’hui la crème des artistes kinois et du reste de l’Afrique pour un alléchant portrait croisé de la troisième plus grande ville du continent. Coproduite par le -MIAM- et la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, cette vaste exposition s’intéressant au bouillonnement urbain réunit pas moins de soixante-dix plasticiens, photographes, dessinateurs, performers, peintres, slammeurs ou encore vidéastes.

Racines

Parmi les quatre commissaires, Androa Mindre Kolo1, congolais diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa puis des Arts déco strasbourgeois. Sa vie de mikiliste – terme d’argot lingala désignant les personnes choisissant l’exode pour l’Europe – l’a mené à s’installer dans la capitale européenne où sa famille s’est agrandie de deux enfants, et à partir de laquelle il poursuit son travail artistique entre danse, performance et installations. Outre sa sélection fine des artistes locaux de la jeune génération, il présente sa dernière oeuvre, Absence, fruit de quatre récents voyages au pays natal : la recréation d’une tente funéraire avec tissu en satin et roses. Une plongée dans l’intime avec un cercueil incliné derrière lequel s’agencent des images d’Aru, son village natal à l’extrême Est de la RDC, proche de l’Ouganda. Son père, négociant en café y fut assassiné de retour d’une vente, au Soudan, en 1986. Le début d’une longue succession d’exils vers Kinshasa et la France qui le forcent à vivre, comme le veut la tradition, dans la famille paternelle, chez son oncle, loin de sa mère et de son frère. Les portraits-photomontages au mur, entourés de fleurs qui s’imposent parfois sur les bouches et les yeux, sont des hommages à de grandes figures du pays (la chanteuse Abeti Masikini, la soeur Anuarite, assassinée par la rébellion en 1964) comme à des proches disparus. Cette « chapelle ardente » haute en couleurs est « à l’image du deuil kinois, un lieu de réjouissance, de spectacle, de rendez-vous d’amoureux », confie-t-il. « Il y a un portrait de Djodjoewats, le neveu de la femme de mon oncle que j’ai porté jusqu’au dispensaire en 2010, alors qu’il avait une crise de malaria dont il ne se remettra pas. Je revendique leur absence autant que je réclame leur présence. » Sur le cercueil, un écran diffuse le film Racines2, tourné en 2017. Androa tente d’y retrouver la tombe de son père, enterré dans un bois. La nature ayant repris ses droits, c’est Papa Corneille, un vieux diplomate dont la mère a disparu trois jours après qui le guide. Les drames de sa vie peuplent depuis toujours les créations de celui qui n’en a pas fini avec l’exode, la mort, la circulation des hommes et des richesses. « J’ai encore des choses à régler dans ce coin perdu de RDC, considéré comme une zone noire par le Ministère des Affaires étrangères. J’ai besoin de rentrer où j’ai vu le jour pour cheminer avec mon passé. »

Christian Bokondji, Un diable dans la rue, 2016. Performance photographiée par Renaud Barret

Chroniques urbaines

Loin de toute tentative d’exhaustivité ou de panorama des pratiques artistiques, Kinshasa Chroniques propose neuf points d’entrée – autant que de quartiers – dans une mégalopole de 13 millions d’habitants qu’ils ont, pour 85% de sa surface, auto-planifiée et construite ! La ville se vit thématiquement en Déambulations, Performance, Sport, Paraître, Musique, Capital(ist)e, Esprit, Débrouille et Futur(e). Si de grandes expositions ont consacré l’art africain ces dernières années (Beauté Congo à la Fondation Cartier en 2015, Making Africa au Vitra Design Museum en 2016 ou la superbe Art/Afrique, le nouvel atelier à la Fondation Louis Vuitton en 2017), celle-ci met en lumière la jeune génération qui, pour la plupart, n’a jamais exposée à l’étranger. Des performances nées dans le cadre du festival KinAct avec notamment le repas spirituel avec masque à gaz d’Eddy Ekete (ou, plus loin, son costume d’Homme Canette) jusqu’au rétro-futuriste collectif des Kongo Astronauts dont les films, peuplés de robots, d’avatars animaux et d’engins incroyables, luttent contre les « ghettos psychiques de la condition postcoloniale », le voyage est aussi divers que captivant. Mentions spéciales au superbe Sapeur kitendi peint sur toile par Amani Bodo, à l’engagée Ozonisation – Troisième ruelle de Julie Djikey qui s’enduit le corps d’huile de moteur et de cendre de pneus brûlés, des boîtes de conserve pour soutien-gorge. Et enfin à Christian Bokondji et Fabrice Kayumba pour leur Diable dans la rue et Le Diable est innocent ?. Tournant un film sur la scène underground locale, le réalisateur Renaud Barret (dont se découvrent aussi d’étonnants Portraits de musiciens) les immortalise grimés avec un masque en plastique made in China ou des cornes d’antilopes. My(s)tique !


Au Musée international des Arts modestes (Sète), jusqu’au 2 juin

miam.org

1 Lire Denses Danses autour de sa performance Corps nature dans le cadre du festival Nouvelles dans Poly n°158

2 Ce film en français et en lingala est en lien avec le projet qu’il créera dans le cadre d’EXTRA ORDINAIRE (13-15/06), ensemble d’actions artistiques dans les quartiers strasbourgeois de la Meinau et du Neuhof (réalisées après un travail de résidences) portées par le collectif ScU2 (François Duconseille et Jean-Christophe Lanquetin), Pôle Sud, la Haute École des Arts du Rhin et l’Espace Django – pole-sud.fr

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