Natural born killers

Pièce phare du dernier festival d’Avignon pour lequel Vincent Macaigne l’a créée, Au moins j’aurai laissé un beau cadavre revisite Hamlet, entre folle irrévérence et totale démesure.

Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Définitivement. Metteur en scène impétueux, Vincent Macaigne s’offre le luxe d’exploser le texte le plus emblématique de Shakespeare. Dans un décor de fin de partie, tout le monde a la gueule de bois. Hamlet, lui, est une bête assoiffée de sang et de vérité, plongeant jusqu’aux paupières dans la tombe pleine de boue de son père assassiné par Claudius. L’image romantique du personnage est électrifiée au profit de convulsions et d’éructations endiablées formant le geste théâtral de la bande à Macaigne. En chef d’orchestre survolté, il harangue le public dès son entrée, depuis le haut des gradins, faisant monter la sauce et augmentant avec furie le désordre ambiant. Tout commence par un massacre à la tronçonneuse, sanguinolent à souhait. Une violence puisée dans le conte danois de Saxo Grammaticus qui aurait inspiré Shakespeare himself !

© Christophe Raynaud de Lage

Un énorme néon surplombant le fond de scène nous avait mis en garde : « Il n’y aura pas de miracle ici. » Dans une violence jamais contenue, le dépassement de toutes les limites amène la démesure d’un humour volontairement potache et gras, mettant à l’épreuve les corps et les voix. Car chez Macaigne, le théâtre déborde de cris, de sexe cru, d’éclaboussures de boue (gare aux premiers rangs !) et d’engueulades successives. On hurle sa difficulté de vivre et de vouloir ce que même nos enfants ont abandonné. La désacralisation du théâtre est totale. La frontière avec le public bannie, cette agora vivante et habituellement passive est poussée à apporter du tragique à la pièce en tenant son rôle. Choqué, emballé, dégoûté ou endiablé, n’hésitez pas, criez-le ! Cette fête funèbre de 3h30 n’en sera que plus folle. Quant à l’entracte, sortez, si vous ne voulez pas vous prendre vingt minutes de Ti Amo dans les oreilles. Au milieu de ces choix dramaturgiques – qui en exaspéreront plus d’un – se dévoileront quelques déclamations lumineuses de modernité et de sensibilité, un déluge de surprises en tous genres à base d’hélium et de souffleries, d’illustrations psychanalytiques bien senties ou de meurtres au poignard et au pistolet. Hamlet est comme un artiste, un poète qui se ferme au monde et ne peut qu’écrire une pièce (dans la pièce) pour trouver la vérité. Le jeu de l’outrance pour tomber les masques. Finalement, nous en prendrons plein la gueule car « nous sommes tous des barbares malgré notre culture. »

© Christophe Raynaud de Lage

À Mulhouse, à La Filature, jeudi 5 et vendredi 6 janvier 2012
03 89 36 28 28 – www.lafilature.org

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