Le tour du propriétaire

Au Frac Alsace, Marie-Jeanne Hoffner nous entraîne de l’autre côté du Miroir noir où elle a reproduit la structure d’un appartement. Visite d’une exposition jouant sur l’intime et le public, sur les ponts entre édifices architecturaux et constructions de l’esprit.

La plasticienne nous invite à entrer, proposant un café, puis se met à faire le guide. « Voici le salon, le grand living-room, la cuisine, les trois chambres et la salle de bain. Le couloir est un peu étroit, mais il y a deux dressings », s’enthousiasme la maîtresse de maison. Petite précision : il faut de l’imagination car nous sommes en réalité dans un plan en volume à l’échelle 1 de son appartement de 110 m2 situé à Bagnolet, dans la banlieue parisienne, au treizième étage d’un immeuble où elle va s’installer prochainement. Il s’agit du squelette de cet appart’, d’une sorte de dessin 3D réalisé en bois. Pas de murs, pas de plafond… uniquement les arrêtes.

S’engouffrer dans la faille

Nous jouons les passe-muraille, circulant dans les pièces de cette volumineuse installation in situ, adaptée au Frac. Cette charpente monumentale, intitulée Heim (“lieu de vie” en Allemand), se reflète sur un miroir noir couvrant un mur et créant « un effet de retournement, produisant une distance, une étrangeté ». Il s’agit d’une transposition, du déplacement d’un espace réintroduit dans un autre, « comme des poupées russes qui s’emboîtent ». Marie-Jeanne Hoffner utilise, comme à son habitude, un vocabulaire emprunté à l’architecture pour une œuvre géométrique et symétrique. Une réalisation technique qui projette le visiteur dans la future habitation de la plasticienne et le confronte à son intimité. Une création raide comme du papier millimétré mais qui nous plonge dans un monde parallèle digne de Lewis Carroll : pour pénétrer dans Heim (et en sortir), il faut emprunter un “passage secret”, traverser le mur coupant le Frac en deux. Des deux côtés de celui-ci est encollée une photographie grand format représentant le fond de la salle d’exposition. Chacun est ainsi convié à pénétrer dans un pli spatio-temporel, s’immiscer dans un interstice, s’y glisser afin de vivre une expérience physique, fouler cet espace personnel et se l’approprier.

Viens à la maison

L’autre partie de l’exposition se compose de « petites formes » – maquettes, dessins ou vidéos – qui jalonnent son travail et « tournent autour du processus et du mode de fabrication ». Il s’agit d’éléments évoquant esquisses, projets, plans, cartes ou relevés, qui semblent tout droit sortir d’une agence d’architecte. Ils éclairent son travail en général et l’installation Heim en particulier, questionnant « le dehors et le dedans, le vide et le plein ». Des dessins résultant d’entailles dans du papier fluorescent retourné donnent des « sensations d’espace », des pliages, une vidéo “gondryesque” décrivant une construction rudimentaire, des figures architecturales qui se déploient… Ces œuvres montrent « comment un geste simple produit la possibilité d’un paysage », d’un territoire, d’une bâtisse.

La vidéo My house in Australia, véritable « portrait robot d’un lieu », a nécessité deux phases. Dans un premier temps, Marie-Jeanne Hoffner, en résidence à Melbourne, a fait une présentation d’une heure et demie de sa maison en France, à Châteauroux, devant des étudiants en art. Une visite guidée “orale” d’une extrême précision : « Ouverture des portes, longueur des murs, matière du sol, couleur des papiers peints… », du rez-de-chaussée au dernier étage. Une semaine plus tard, elle convoque les jeunes gens et les filme, seuls ou en duo, en train de décrire à leur tour et de mémoire la demeure. Devant la caméra, ils « s’emparent » de la résidence et réintroduisent des données issues de leur imagination, « des sensations lumineuses, des bizarreries », ne se rappelant plus toujours très bien de l’agencement des pièces. Certains, sûr d’eux, avancent des détails inexacts. D’autres bafouillent, se reprennent, se concentrent, se concertent… et avouent, désolés, ne plus se souvenir de tout très bien, comme s’ils avaient réellement visité la maison. « Je l’ai infiltrée dans leur tête ! J’aime cette idée qu’elle existe de cette manière chez des Australiens », s’amuse Marie-Jeanne Hoffner qui invite ses semblables à explorer leur propre espace mental. Pour la plasticienne, nous habitons l’architecture autant qu’elle nous habite.

À Sélestat, au Frac Alsace, jusqu’au 28 juillet

03 88 58 87 55 – www.culture-alsace.org

www.mariejeannehoffner.org

 

 

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