L’Air du Temps

Pour sa 22e édition, le festival Nouvelles a sélectionné un florilège alléchant de soli, duos et autres vastes ensembles défrichant le rapport entre performance, danse et art. Plongée dans les chorégraphies de demain.

À Pôle Sud, l’on navigue entre fidélités renouvelées (le sublime Serge Aimé Coulibaly, l’étonnant Pierre Rigal sorti de sa Press[1. Le chorégraphe présente sa création de 2010, Micro, vendredi 25 mai au Théâtre de Hautepierre] et amour des découvertes et de l’inattendu. L’édition 2012 de son festival mêlant danse et performance est politiquement engagée. Alain Buffard signe un retour fracassant avec Baron Samedi[2. La pièce a été créée, fin avril, au Théâtre de Nîmes et co-produit par Pôle Sud] (le 30 mai au TNS). Le chorégraphe parisien s’inspire de Kurt Weill qu’il mâtine de culture vaudou dans un spectacle résolument engagé : « Je crois que l’art a cette capacité de défaire les présupposés culturels et politiques », assène-t-il. « La convergence et la transaction des savoirs artistiques, chorégraphiques et surtout musicaux des artistes que je réunis ici permettent une nouvelle lecture de Kurt Weill. »

Ses performers noirs venus d’Afrique, des Caraïbes, de France et des États-Unis ne seront pas cantonnés à leurs habituels rôles stéréotypés. Alors que « l’on ne se pose pas la question de savoir si Jessye Norman est noire quand elle chante Schubert, il en va autrement pour la représentation des corps en danse », poursuit-il. Buffard se fait fort de renverser les us et coutumes, de « produire une multiplicité de circulations, entre les lieux, les conditions, les formations et les origines ». La figure du Baron Samedi donnant son titre au spectacle est un loa de la culture vaudou, c’est-à-dire un esprit permettant le passage de la vie à la mort que l’on retrouve dans toutes les cérémonies. Avec ses danses lascives et très sexuelles, il vient déranger les croyants, charriant son lot de transgressions sociales. Souvent homosexuel, cette figure de l’inversion et les fantômes qu’elle convoque planeront autour d’un spectacle à la musique bigarrée et aux corps loin d’être ménagés.

Voguing
D’un regard sur le monde par le prisme de la culture américaine, il sera aussi question dans la confrontation entre le “voguing”[3. Le label anglais Soul Jazz Records vient de sortir simultanément une compile, Voguing and the House Ballroom Scene of New York City 1976-1996, et un livre, Voguing and the House Ballroom Scene of New York City 1989-1992 avec de nombreuses photos de Chantal Regnault – www.souljazzrecords.co.uk] des sixties et la Post Modern Dance. (M)IMOSA, Twenty looks or Paris is burning at the Judson Church est porté par quatre chorégraphes phares de la nouvelle génération : l’Argentine Cecila Bengolea, le Français François Chaignaud, la Cap-Verdienne Marlene Monteiro Freitas et l’Américain Trajal Harrell.

http://www.youtube.com/watch?v=zvUpKgJQ9vQ&oref=http%3A%2F%2Fwww.google.fr%2Furl%3Fsa%3Dt%26rct%3Dj%26q%3D%26esrc%3Ds%26source%3Dvideo%26cd%3D1%26ved%3D0CEgQtwIwAA%26url%3Dhttp%253A%252F%252Fwww.youtube.com%252Fwatch%253Fv%253DzvUpKgJQ9vQ%26ei%3DDdqjT_XmHs7m8QPX3IWNCQ%26usg%3DAFQjCNEeyVFwSU0GaxV7iRaFYUde6ugijQ%26sig2%3DnE7guVIU5t-VDt1sL0SGsg&has_verified=1

Ils mettent en balance leurs propres influences et identités artistiques en les confrontant à l’incroyable mouvement né dans les milieux gays et lesbiens, mais aussi transgenres d’afro-américains et de latinos de Harlem : le voguing. Cette forme radicale et inventive de performance – pastichant les usages, les codes et les comportements sociaux liés aux mondes de la mode et du luxe – conduit à un questionnement identitaire dont plus de quatre décennies n’ont pas suffit à venir à bout. Qu’ils soient juchés sur d’étranges pointes à talons rouges, enveloppés dans des combinaisons intégrales de couleur chair ou qu’ils repoussent les limites de l’androgynie (torse nu dévoilant leur poitrine dans un look rock, le visage fardé pour recréer une barbe de trois jours dans un pastiche de clip pop où l’on se dandine comme sur MTV), les quatre danseurs-chorégraphes mettent leur propre pratique en question. Savoureux, choc, audacieux et plus que jamais moderne dans sa forme comme dans ses prises à partie existentielles.

http://www.youtube.com/watch?v=CApElRFSiUA

Mal d’amour
Comme tout bon festival, Nouvelles a son spectacle démesuré. C’est le québécois Dave Saint-Pierre qui s’y colle à grands renforts de corps dénudés, de tapes sur les fesses, de midinettes en jupe hurlant gentiment sous les attaques frondeuses d’hommes habillés d’uniques perruques blondes peroxydées. Un peu de tendresse, bordel de merde ! (23 et 24 mai au Maillon-Wacken) déride les plus coincés, remue les plus audacieux avec son avalanche de situations, de discordes tendres et crues. Les jeux d’enfants des 18 interprètes envahissant l’espace dans des ébats et débats foutraques, loufoques et audacieux, sonnent comme le meilleur moyen de conjurer le sort : vieillissons mais continuons à brûler la vie par les deux bouts et à lui jeter un grand éclat de rire à la gueule.

Festival Nouvelles, à Strasbourg (Pôle Sud, TNS, Maillon…), Erstein (Musée Würth) et à Sélestat (Frac Alsace), du 22 mai au 1er juin
03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr

Passo © Oreste Testa

Solo / Duo
Figures solitaire, gémellaires ou contradictoires sont prisées en danse contemporaine. En témoignent les solos attendus de Carlotta Sagna (Ad Vitam, 30 mai au TNS) qui explore la frontière psychique de la vulnérabilité et de la fragilité dans une confrontation texte / mouvement dont elle a le secret, et de Janet Novas (Cara Pintada, 22 mai à Pôle Sud), danseuse espagnole à l’écriture intimiste, profonde et exaltée. Ne manquez non plus Dans l’air du temps (25 mai à Pôle Sud), création de Gallerani et Poddigue, à partir de cette expression devenue cliché. Le temps qui passe, la fuite en avant, ce qui les fait se mouvoir aujourd’hui, le besoin de lâcher prise. Se donner de l’air, prendre le temps… et recommencer !

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