Born to be alive

Autoportrait en Bowie par Luz pour Poly

Ex-Charlie Hebdo sous haute protection policière depuis l’attentat auquel il échappa grâce à une gueule de bois l’empêchant de se rendre au boulot, le dessinateur Luz est un enfant du rock et de Cabu. Entretien avec un croqueur orphelin, mais Alive, qui a récemment compilé ses meilleurs reportages musicaux dans un ouvrage.

Il y a une vingtaine d’années, j’ai découvert, surpris, un de vos reportages dessinés dans Charlie Hebdo : un set de Four Tet. Jusqu’alors, je pensais que le journal était plus Zebda qu’electronica…

J’ai pris le pouvoir sur un domaine que personne n’exploitait car la musique était le parent pauvre du journal. Il y avait le cinéma avec Boujut et la littérature avec Polac, alors j’ai convaincu l’équipe de faire des reportages sur le terrain. Charb et les gens de Charlie étaient heureux que je leur fasse découvrir autre chose que Manu Chao, des endroits qu’ils ignoraient totalement. J’allais sur le terrain – dans la foule ou les backstages – et rapportais quelque chose de l’époque, de l’air du temps, de positif… même si je me foutais un peu de la gueule des fans de rock avec leurs travers tribaux.

On ne vous a pas demandé de traiter d’artistes “engagés” ?

La définition première d’un artiste est d’être engagé ! Faire de la musique, notamment dans un festival, c’est politique car il s’agit d’un espace de partage qui n’est pas religieux. Le live est une communion fraternelle entre des gens qui ne veulent pas de beaux discours, un moment éphémère que tu vis avec d’autres. Je voulais montrer la vertu cathartique de la musique : tu l’écoutes, tu te nettoies les oreilles et l’esprit, tu danses et après tu peux commencer à faire la révolution car tu es plein d’énergie ! J’avais envie de décrire ces moments-là, cette force, en me servant des mes années d’expérience de reporter dessinateur. Après les commandos anti-IVG, les nazis, les catholiques intégristes, les bouddhistes pratiquant la lévitation et autres hurluberlus, j’ai fait des doubles pages sur LCD Soundsystem : c’était une autre curiosité, mais la même approche.

Sauf que vous avez d’avantage de sympathie pour les fans de LCD Soundsystem que pour les pro-life… 

Oui oui, je suis passé du reportage d’opposition au reportage de proposition. Il s’agissait des très rares chroniques où il n’y avait pas de connards dedans ! Quelques couillons, certes, mais pas de connards [rires].

Observons un de vos dessins montrant le batteur de Black Rebel Motocycle Club en action : c’est une sorte de gribouillis… d’une très grande intensité.  Plus c’est jeté sur le papier, plus c’est fort ?

La manière dont chaque dessin est traité, indépendamment du style, raconte l’énergie sur scène : s’il devient brouillon, limite abstrait, c’est qu’il a été fait dans une foule mouvante, au milieu d’un pogo. S’il est hyper léché, il voudra peut-être dire qu’on s’est fait chier au concert ! L’exercice est très inconfortable : tu as ta bière ou ta clope, dans le noir, et plein de gens bougent autour de toi. C’est justement cet inconfort qui m’intéresse.

Lorsque vous croquez Blixa Bargeld, leader d’Einstürzende Neubauten, quelques coups de feutre suffisent pour qu’on le reconnaisse…

Il s’agit du mec “dans son théâtre” : on reconnaît d’avantage sa posture que son visage. Cet exercice me permet de sortir de la caricature : ne pas grossir les traits, mais se laisser envahir par la musique, l’émotion ! Mon dessin représente le monolithe puissant que Bargeld est à ce moment-là.

Quel est l’artiste le plus “dessigénique” rencontré ? Jarvis Cocker ?

Oui, complétement ! Sans oublier Iggy Pop et Beth Ditto.

De silhouettes radicalement opposées… 

C’est ça, d’ailleurs Beth Ditto ressemble à sa musique, toute en rondeur. La musique de Gossip est une boule d’énergie et sa chanteuse est à son image.

LUZ © JL.BERTINI-FUTUROPOLIS

Avez-vous été déçu par des artistes trop peu “dessigénique” ?

LCD : j’étais sans doute trop fan et j’ai essayé de “faire bien”. Il m’a fallu une dizaine de concerts pour arriver à saisir James Murphy, son leader. Sinon, il m’arrive plutôt l’inverse : il y a des gens géniaux à dessiner et dont la musique ne me plaît pas du tout, The Infadels par exemple. Dans ce cas, je ne garde pas mon croquis, trop en désaccord avec la réalité du concert. Dans certains cas, ça n’est pas l’artiste qui est fascinant, mais le public : celui de Justice est démentiel ! Sur scène, il y a deux types derrière des platines, mais dans la salle, des pré-adultes se marchent dessus, se remplissent de bière, se défoncent… à l’electro et à autre chose !

Finalement, celui que vous dessinez le plus mal, c’est vous…

Je suis celui que je vois le moins en action ! Le Luz que je dessine est un concept, un cartoon. Ça n’est pas que moi, mais un amateur de musique un peu pataud, un peu imbécile. Parfois paumé.

Paumé ?

[songeur] C’est vertigineux d’imaginer ces milliers de personnes que j’ai côtoyé durant les festivals… Je pense que tous les arpenteurs de concerts ont été marqués par le 13 novembre car ils ont dû se dire avoir un jour été à côté de ceux qui sont tombés, dans une salle, devant Eagles of death metal ou un autre groupe. Peut-être qu’on s’est parlés ou qu’un d’entre eux a vomi sur mes chaussures…

Il n’y a plus de distance dans Catharsis* où vous racontez sans pudeur l’après attentat de Charlie

C’est vrai. J’avais besoin de me retrouver, d’autant plus que le cirque médiatique dans lequel j’étais pris a fait que je ne me reconnaissais plus. Après l’attentat, j’ai pris conscience de l’urgence d’écouter de la musique qui dématérialise et qui est peuplée de fantômes auxquels je donne vie en posant un vinyle sur la platine. Il faut être boulimique de l’instant. Je me refuse à la nostalgie des moments perdus, mais ça a parfois été dur de me replonger dans mes archives pour Alive.

Dans votre livre, il est aussi question de paternité, de transmission…

La musique est un dialogue : voilà pourquoi c’est important de se tenir au courant de ce qui sort aujourd’hui, peut-être seulement pour pouvoir échanger avec sa fille. Personnellement, j’ai eu la chance d’avoir des parents qui écoutait Bowie ou les Stones… ce qui ne m’a pas empêché d’écouter des merdes comme Jamiroquai.

Qui vous initié au dessin ?

J’étais fasciné par les cahiers de brouillon d’enfance de mon père qui faisait des sortes de Shadoks. J’ai découvert ça, gamin, et essayé de m’y mettre. Ado, je lisais Gotlib, Crumb, Goossens, Reiser ou même des trucs horribles, genre Robin Dubois… Mais c’est surtout chez Charlie que je me suis formé et que j’ai appris. J’ai dessiné tous les jours durant plus de 20 ans, aux côtés du Duke Ellington du dessin, Cabu, et du Bowie du crayon, Gébé !

Comment vous êtes-vous retrouvé là ?

En juillet 1991, je suis allé voir Cabu avec un dessin des charters mis en place par le gouvernement Cresson et il m’a présenté à la rédaction de La Grosse Bertha, notamment à Val qui l’a publié. Cabu est resté mon mentor.

Et votre référence principale ?

Francis Bacon et ses portraits. Ça n’est pas de la caricature, mais c’est juste. La ressemblance m’intéresse moins que la justesse.

Quels sont les politiques les plus rock ?

La politique n’est vraiment pas rock’n’roll. Ceci dit, Robert Badinter et Christiane Taubira, quand tu vois les vidéos d’eux à la tribune, défendant l’abolition de la peine de mort et le mariage pour tous : gestuelle, voix, conviction, fougue… Sinon, j’aime bien la carrière solo de Mélenchon, mais je n’oublie jamais qu’il vient du PS, son groupe d’avant, très mou du genou.

Vous affirmez exécrer la chanson française, alors que vous adorez Bashung, Katerine, Dominique A, Sébastien Tellier, Burgalat…  

Ah oui, mais ces gens-là ne font pas de la chanson, ils font de la musique française ! Burgalat fait des duos avec Robert Wyatt, c’est pas Bénabar. Et Katerine, c’est de la poésie sur pattes…

Selon vous, dans le futur, nous écouterons tous des boîtes à musique en forme de cœur, comme lorsque nous étions bébés !

Plus la musique se transforme, plus l’auditeur va vers l’essentiel ! Sérieusement, demain, nous écouterons peut-être de la musique grâce à une puce greffée dans nos oreilles… J’accepte l’idée d’être un vieux con qui pleurniche en pensant aux pochettes des 33 tours seventies, avec des gonzesses à poil sur lesquelles je me masturbais lorsque j’étais adolescent. Je les garde pour pouvoir me masturber à nouveau dessus quand je serai vieux.

Vous dites souvent “croire” en la musique : c’est une religion ?

J’ai eu une révélation. J’ai été touché par le doigt du Dieu Musique lors du – supposé – dernier concert de LCD Soundsytem au Madison Square Garden en 2011. J’étais confus, ne sachant pas s’il fallait que je me lâche à danser comme un porc ou que je mesure chaque note parce qu’elle était la dernière. La musique, c’est ça, une variété d’émotions qui raconte toute une vie !

Après l’attentat du 7 janvier 2015, vous répétiez que tout le monde devrait se saisir d’un crayon et dessiner : pourquoi ?

Si on veut refaire le monde, il faut sortir son imaginaire et le plaquer quelque part : sur une feuille, une partition, une pellicule…

 Alive, édité par Futuropolis (36 €)

futuropolis.fr

 

* Édité par Futuropolis en mai 2015  

 

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