Yordan Goldwaser réinvente Illusions (Comédie)

© Lucie Gautrain

En montant Illusions (Comédie), Yordan Goldwaser s’attaque pour la troisième fois à l’auteur russe Ivan Viripaev. Interview.

Illusions, sous-titrée Comédie, réunit deux couples mariés, octogénaires, mais distribués d’après les indications de l’auteur à de jeunes acteurs…
Ces narrateurs n’incarnent même pas les personnages, ils font le récit de ces couples. Mais dans leurs outils de conteurs, ils rapportent des paroles directes, avec des tirades parfois longues. Viripaev précise souvent le genre de ses pièces. D’où le « comédie » accolé au titre. Mais en fait, cela relève moins du registre de l’humour que d’une indication sur une fin voulue heureuse, alors même qu’elle pourrait être assez tragique !

Derrière l’aspect comique, il y a toujours une raideur chez Viripaev, quelque chose d’aigre : quand Dennis, sur son lit de mort, évoque la beauté de leur amour réciproque durant leurs 52 ans de vie commune avec Sandra, elle révèlera à son meilleur ami, Albert, la passion qu’elle avait pour lui, sans jamais avoir osé lui avouer…
Tout à fait. Comme chez Martin Crimp, dont j’ai monté La Ville. Même si leurs écritures sont très différentes, je découvre leurs similitudes, ce côté grinçant allant gratter derrière le factice et regarder ce qui se cache au-delà de l’apparence de cohérence. Ce qui est masqué est toujours moins reluisant que ce que le discours initial prétend. Viripaev est insaisissable : quand le cynisme semble prendre le dessus, une candeur profonde ressurgit, puis il est désabusé et la naïveté arrive avec une foi immense en la réunion des gens au théâtre. L’énigme est irrésolue ! La pièce n’est qu’une succession de renversements de situations, de jeux de démasquement où fuit la vérité, toujours fragile et éphémère.

Yordan Goldwaser : Illusions (Comédie) © Lucie Gautrain

« En chaque homme il y en a deux qui dansent », écrivait- il dans Oxygène. La crise de la vérité fait ressurgir l’angoisse de la solitude. Vérité et solitude comme deux pendants d’une même médaille de l’existence…
Il est souvent vu en France comme un mystique aux élans spirituels un peu barrés. Je crois qu’il faut recontextualiser son œuvre dans la Russie du début de la décennie 2010. Il avait créé un courant de théâtre documentaire, puis un petit théâtre d’opposition. Parler vérité et solitude, c’est aussi évoquer la situation politique du pays, chercher une alternative à sa solitude, raconter la complexité nécessaire à lire les événements et l’OPA orchestrée par le pouvoir sur la vérité.

Vous êtes un metteur en scène de l’épure. Quel écrin avez-vous imaginé pour ces saynètes adressées directement au public ?
Ces dernières années, j’ai expérimenté le bi-frontal et le tri-frontal. Là, je reviens face au public, dans un dispositif classique, laissant plus de place à la scénographie. Les indices distillés, ici et là dans le texte, évoquent les ruines et des mondes éclatés. Nous avons donc traité l’espace comme atomisé, déconstruit, aux éléments épars mais qui composent un ensemble cohérent qui se déplie au fur et à mesure.


Au Théâtre en Bois (Thionville) du 12 au 14 mars, puis au Taps Scala (Strasbourg) du 22 au 25 mai (dès 15 ans) nest-theatre.frtaps.strasbourg.eu

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