Une enfance fracassée

Photo de Simon Bonne

Avec Fracasse ou la Révolte des enfants des Vermiraux (dès 8 ans), Nicolas Turon, de la mosel- lane Compagnie des Ô, livre une ode au temps de l’innocence. Pour le metteur en scène et comédien, il faut « grandir toujours, ne jamais vieillir » !

J’ai vu des adultes terrifiés et des enfants pleurer lors de votre pièce Sherlock Holmes, son dernier coup d’archet… Vous malmenez toujours ainsi votre public ?
Si des gamins chialent durant Sherlock, c’est qu’ils n’ont pas l’âge d’y assister… mais comme les gosses de bobos sont toujours “très” intelligents et “très” en avance, ils viennent, même s’ils n’ont pas les huit ans requis [rires] ! Plus sérieusement, l’atmosphère est totalement différente à chacun de nos spectacles : dans Fracasse, il n’y a pas de sarcasme, mais des émotions. Notre fil rouge est la proximité avec le public qui n’est pas confortablement installé dans son gros fauteuil rouge, mais assis sur des tabourets branlants. Il peut nous sentir, nous entendre respirer et les sentiments se transmettent par capillarité. Le théâtre, ça n’est pas qu’être protégés dans une boîte noire avec de la lumière dans la gueule !

Fracasse ou la Révolte des enfants des Vermiraux* est un cadavre exquis mêlant l’œuvre de Théophile Gautier (Le Capitaine Fracasse, édité en 1863), un fait divers de 1911 concernant des orphelins maltraités s’étant rebellés contre l’Assistance publique et vos propres expériences…
Oui, j’ai tout lié et passé dans ma moulinette afin qu’il n’y ait qu’une seule langue : il y a des motifs, des punchlines, mais plus un seul mot de Gautier. Il a fallu coudre ensemble des histoires pour affirmer, comme dans la pièce, que « Fracasse, c’est ce qui s’est cassé un jour en nous, et que nous cherchons à recoller ».

Photo de Clément Martin

Vous interrogez sans cesse le monde de l’enfance dans vos créations : moment béni dégagé des conventions adultes ou difficile période de construction ?
Les deux mon capitaine ! On ne s’emmerde pas trop avec les faux semblants, Laura Zauner, Fayssal Benbahmed et moi. D’ailleurs, nous nous exprimons en tant que comédiens durant Fracasse : nous parlons de notre quotidien et notre choix quant au métier d’artiste. Lors et en dehors de nos représentations, nous sommes comme des enfants car nous adoptons le comportement qu’il nous plait. Juste avant le spectacle, hier, nous jouions aux foot avec les gamins du quartier : on n’était pas en train de faire du yoga en mangeant du quinoa ! Ce qui nous fascine dans cette histoire, c’est de voir jusqu’à quel moment on peut pousser l’enfant au point
qu’il se révolte, qu’il dise : “J’ai huit ans, mais il faut que j’agisse !”

Il y a du vécu là-dessous ?
J’ai grandi dans un contexte de violence familiale : j’en parle par bribes dans Fracasse. C’est pour ça qu’il me paraissait essentiel que les enfants gagnent à la fin. C’est une revanche !

Sauf qu’ils perdent leur innocence en se battant…

Oui, mais on peut se rattraper, en devenant enfant plus tard.

À propose du spectacle, vous parlez d’une “révolte face à la maltraitance par l’imaginaire”. S’agit-il d’un remède contre le mal ?
Bien sûr ! Si je n’avais pas rencontré les livres et le théâtre, je n’en serais pas là aujourd’hui. Toutes les rébellions sont conduites par des grandes idées. Je pense notamment aux Corinthians, club de foot de São Paulo prônant une organisation hyper-démocratique qui, dans les années 1980, se sont opposés au régime dictatorial brésilien.

Au début de Fracasse, il est dit qu’« il n’y a pas d’adultes, il n’y a que des enfants qui abandonnent. »

Oui, mais le spectacle n’est pas moralisateur. On peut y voir un conte à la Dickens avec de pauvres orphelins comme un endroit où l’on projette ses traumas pour en sortir secoué, voire transformé. Nous ne faisons que poser cette question : avons-nous encore des capacités d’imaginaire et de révolte ?


À l’Espace Rhénan (Kembs), vendredi 8 mars
espace-rhenan.fr

À La Margelle (Staffenfelden), samedi 9mars
lamargelle.net

Au Point d’Eau (Ostwald), mercredi 13 et jeudi 14 mars
lepointdeau.com

Au CSF Victor Hugo Léo Lagrange (Schiltigheim), samedi 16 mars
ville-schiltigheim.fr

À La Passerelle (Rixheim), jeudi 21 et vendredi 22 mars

En tournée avec Les Régionales
culturegrandest.fr

* Le spectacle a été récompensé par le Prix des familles à l’issue de la dernière édition du festival jeune public Momix — momix.org

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