Trou story

Sylvestre Bouquet et Grégoire Carlé, ex-Arts déco strasbourgeois, ont tiré une BD co(s)mique, Trou Zombie, d’une résidence à Jacmel (Haïti) soutenue par le CEAAC dont le but était de chercher « l’extase vaudoue ». Rencontre avec un duo de babtous revenu indemne d’« un long voyage initiatique dans les entrailles des tropiques ».

Nous devions retrouver le duo près d’un étang dans le quartier strasbourgeois de Kœnigshoffen, dans un club house géré par l’Association agréée pour la Pêche et la Protection du milieu aquatique où Grégoire et Sylvestre ont leurs petites habitudes. On n’a rien contre les carpes, ni même la belote (des tournois y sont régulièrement organisés), mais nous avons préféré leur donner rendez-vous au CEAAC, car c’est là que tout à commencé, ou presque. Il faut remonter un tout petit peu la pendule jusqu’au début des années 2010, dans les hauteurs d’une forêt vosgienne, un « haut lieu tellurique » trouvé dans vieux bouquin écrit par un radiesthésiste recensant les coins « vibratoires » d’Alsace. Près d’une roche branlante où l’on jugeait les femmes adultères, après quelques verres de vin, les deux aventuriers du dimanche montent un bobard à raconter à l’organisme versant des revenus aux artistes. Le lendemain, Sylvestre dévoile son projet (foireux) à son conseiller qui trouve fantastique l’idée (bidon) de se rendre en Haïti. Les choses deviennent vite sérieuses lorsque le CEAAC offre l’opportunité d’envoyer ces deux « gros hipsters » pâlots (l’insulte qu’ils se balancent durant leur séjour) en terre inconnue pour une « quête spirituelle » au pays des esprits frappeurs et farceurs.

Choc culturel
Quatre mois, c’est long, surtout quand le choc culturel et thermique est costaud. « Il faisait 45° sur le tarmac » se rappelle le tandem, cueilli à sa sortie de l’avion par une escorte de militaires armés, missionnés par l’ambassade. Pas très détendue, l’entrée en matière, d’autant plus que la malle remplie de matos pour dessiner et organiser des ateliers à Jacmel reste bloquée à la douane de Port-au-Prince et qu’il faudra sortir son porte-feuille pour récupérer le colis. Il y aura bien d’autres bakchiches et arnaques à « Mickeys » ! Sylvestre, spécialisé dans la gravure, et Grégoire, qui a déjà signé une poignée de BD auto-qualifiées de « psychédéliques » pour L’Association, ressemblent parfaitement à leurs avatars de papier : le premier, est un longiligne barbu flippé de la page blanche, tandis que le second est un flegmatique moustachu à grosses lunettes. Tous deux sont des « zozos blancs » qui ont eu la trouille de se consumer « à petit feu dans le chaudron créole » comme ils le racontent dans leur bande dessinée, aussi belle que composite. Les chapitres de ce cadavre exquis, sentant l’alcool de canne à sucre, se répondent dans un ping-pong stylistique. Les planches réalisées par l’un et l’autre aventurier en herbe « en quête de transcendance » alternent dans une langue poétique, ironique et littéraire, sans doute guidée par Henry Miller, Hunter S. Thompson et John Fante, trio de choc ayant accompagné les insomnies des deux auteurs. Leurs dessins se nourrissent de la tradition picturale naïve locale, des masques carnavalesques en papier mâché ou des éléments d’architecture ornementale très éloignés de « l’épure occidentale ».

Trou Zombie, édité par L’Association (21 €) lassociation.fr

Expérience mystique
Trou Zombie n’est pas un reportage sur le pays, sa pauvreté et « la fatalité de son schéma social archaïque », mais un recueil d’impressions de « deux petits blancs dans l’enfer haïtien », se marrent-ils. Entre moments d’ennui, de doute et d’errance (concept totalement étranger aux autochtones), la BD décrit des visites de lieux (soit disant) magiques et des cérémonies vaudoues nocturnes « très codifiées » avec chants, chœurs de prêtresses, offrandes diverses et figures ésotériques faites à la farine sur le sol. Les esprits (Loas) sont conviés à descendre sur terre, voire à habiter les participants à ces longues messes exutoires. On ne saura jamais ce qui s’est réellement produit cette nuit-là, mais durant une séance, Sylvestre s’est « retrouvé à quatre pattes au milieu d’individus [le] nourrissant de légumes », comme un chien possédé ! Littéralement « chamboulé par ce nouveau monde », le duo réfléchit à une prochaine destination pour un nouveau road trip dans un univers exotique. Ils songent au fameux étang de pêche de Kœnigshoffen, mais doivent d’abord trouver un interprète sachant parler le dialecte alsacien, un guide connaissant les coutumes indigènes. Pourvu qu’ils ne se fassent pas envoûter.

Dédicace chez Ça va buller (Strasbourg)
samedi 3 février
canalbd.net

Rencontre / vernissage de l’exposition de planches du duo (en partenariat avec Poly), au CEAAC (Strasbourg), samedi 3 février (expo les 3 & 4 février)
ceaac.org

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