Tim Etchells met en scène L’Addition

© Christophe Raynaud de Lage

Dans L’Addition, Tim Etchells orchestre un désastre entre un serveur et un client, interchangeant leurs rôles respectifs pour dévoiler les mécanismes de pouvoir.

L’un est le Garçon et l’autre le Client. À moins que ce ne soit finalement l’inverse. L’inverse vous avez dit ? Pas question de trancher pour le metteur en scène britannique Tim Etchells, auteur de cette farce en spirale qui place le public en position de témoin complice. Avec malice, Bert et Nasi exposent même la situation avant qu’elle ne commence, déjouant toute illusion. Autour d’une simple table avec nappe et couverts, il y a donc un client désirant un verre de vin et un serveur un brin incompétent ne sachant jamais s’arrêter à temps de verser. Le duo est lancé dans un jeu sans fin où tous les moyens sont bons pour dynamiter les codes et bousculer les genres. Une sorte d’anti Charlie Chaplin dans The Immigrant (1917), faisant tourner en bourrique le serveur d’un restaurant pour réussir à partir sans payer de sa poche le repas commandé pour la jolie demoiselle, croisée dans sa traversée de fortune depuis la Vieille Europe. Dans L’Addition, tout est plus terre à terre et relève de la mise à jour des relations de pouvoir. Dans ce dialogue de sourd, que les performeurs tentent d’épuiser en le rejouant encore et encore, modifiant ici ou là quelques ingrédients – ajoutant un zeste de burlesque, un soupçon de drame, une pincée de colère, une décoction de fatigue, une émulsion de gaucherie ou encore un liant de fourberie –, se posent de vraies grandes questions s’entrechoquant jusqu’à nous faire tilter.

Tim Etchells : L’Addition © Christophe Raynaud de Lage

D’une intensité cauchemardesque montant dans les décibels à une comédie désarmante de ridicule poussé au plus haut point, l’addition semble salée. « Le projet questionne la non-viabilité des systèmes binaires, la profonde tension des relations sociales les plus simples qui soient et la politique glissante fondée sur la différence de statut et de servitude », assure le metteur en scène. « Ça parle de travail et d’argent, de classe et de pouvoir : qui travaille pour qui ? Qui a le dessus ? Qui prend le contrôle ? Et bien sûr, qui paie la facture ? » L’effet de déjà-vu, et cette séquence répétée comme un mauvais mantra, jamais totalement identique, mais pour autant à jamais similaire, traque dans notre condition humaine l’impuissance à s’extirper durablement de certains schémas sociaux. D’autant que la dissymétrie de la relation de départ contient en soi un biais : l’un paie pour un service que lui rend l’autre, ce qui lui confère un certain pouvoir – même symbolique –, un surplomb de position : celui d’être assis et d’être servi. Si le client peut légitimement demander à “en avoir pour son argent”, cela ne fait pas du serveur un être “corvéable à merci”, dérivé de l’expression médiévale “taillable à merci”, venant de la taille, impôt que devaient les seuls serfs à leur seigneur. Il s’accompagnait de journées de travail supplémentaires et gratuites à son maître : les corvées. Vous reprenez quelque chose ?

Tim Etchells
Tim Etchells : L’Addition © Christophe Raynaud de Lage

Au Centre culturel André Malraux (Vandoeuvre-lès-Nancy) mercredi 20 mars, puis au Théâtre de la Manufacture (Nancy) vendredi 22 et samedi 23 mars dans le cadre du festival Micropolis (21-24 mars)
centremalraux.comtheatre-manufacture.fr

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