Le monde en bleu et blanc : Thomas Mailaender et ses Ultra-violets

© Alex Flores

Connu pour ses expositions en forme de pieds-de-nez au monde de l’art, Thomas Mailaender met au jour la fabrique de l’image avec Ultra-violets.

Cela fait dix ans que Thomas Mailaender collectionne les photos de monsieur et madame Tout-le-monde. De vide-greniers en ventes aux enchères, sur les marchés aux puces et sur Internet, l’artiste chasse les images vernaculaires en tout genre, polaroïds tirés des albums de famille ou publicités à l’affiche des vieux magazines. Avec un penchant certain pour le kitsch. Au total – pour l’instant ! –, quelque 11 000 documents, réunis sous le titre The Fun Archeology, consultables en ligne. Mais qu’on ne se méprenne pas, entre dérision et démarche d’archivage, cet érudit photographe a tout d’un anthropologue de nos contemporaines sociétés. Chez lui, l’humour décalé ne doit jamais occulter le jeu constant avec les codes et l’histoire de l’art, la mise en question du statut de l’œuvre, l’interrogation sur les catégories d’images (nobles ou triviales) et leur espace de diffusion. 

Sur les murs de l’une des salles de La Chambre, tapissée de papier cyanotypé délavé, se révèlent différents clichés issus de sa collection. Intitulée Cyanotype Room, l’installation oscille entre étrange familiarité et cabinet de curiosités : la Terre vue depuis l’espace, des cartes à jouer (clin d’œil aux Tricheurs de Caravage ?), une tête d’oiseau, une réclame pour un appareil photo argentique nous faisant face, avec son objectif capturant le regard. Et puis, plus discrète par sa taille, une reproduction du génial Ceci n’est pas une pipe de Magritte. Au bas de chaque mur, il a laissé les gouttières bricolées pendant l’installation pour récupérer l’eau de rinçage bleue de Prusse des parois. Dans les coins, différents bacs, et au milieu de la pièce, un grand réservoir. Ultra-violets est une exposition mettant en évidence les processus de fabrication des tirages, qui rappelle l’œuvre à son statut d’objet et le plasticien à celui d’artisan. Non seulement il découvre au grand public l’ancienne technique du cyanotype (inventée par Sir John Herschel en 1842 et largement utilisée à des fins scientifiques, des herbiers de la botaniste Anna Atkins aux minutieux plans d’architectes), mais dévoile aussi celle qui permit l’âge d’or de la presse et des livres imprimés. Dans la pièce d’à côté, Offset Conventionnel dévoile un mini-labo avec ses fines plaques d’aluminium, son bain de révélateur et son solarium. À l’extérieur de la chambre noire, épinglées à un fil pour séchage, se pavanent les plaques positives d’anciennes pubs glanées dans les Paris Match des années 1960 et 70 : la parfaite ménagère de moins de cinquante ans expliquant à sa blondinette petite fille comment utiliser la nouvelle machine à laver, une main d’homme tenant entre ses doigts la résidence secondaire qu’il peut s’offrir à crédit, une jeune fille sage en body blanc un brin sexy… 


À La Chambre (Strasbourg) jusqu’au 28 mai
la-chambre.org – thomasmailaender.com
thefunarcheology.com

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