Tempête sur la casas

Le 16 juin 2011, le Parlement français publiait une cinquième loi sur l’immigration en sept ans. Peu à peu, le pays de la Déclaration droits de l’homme et du citoyen ferme ses portes aux demandeurs d’asile et succombe à la politique du chiffre initiée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy. État des lieux d’un lent démantèlement par le prisme d’une association menacée : Casas, Collectif d’accueil des solliciteurs d’asile à Strasbourg.

L’année 2012 est celle de tous les dangers pour les étrangers demandant l’asile. Casas et les associations du même type dans le reste de la France – qui accompagnaient jusqu’ici les demandeurs d’asile dans leurs démarches administratives auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui siège à Paris et à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – ont été touchées de plein fouet par le revirement de l’État supprimant ses aides. Et par ricochet, les centaines de familles concernées, déstabilisant ce qui relevait déjà du parcours du combattant. Jusqu’à présent, les migrants qui se présentaient à Strasbourg dans la petite maison jaune du 13 quai Saint Nicolas trouvaient une équipe (cinq permanents et demi et plus d’une centaine de bénévoles parmi lesquels de nombreux traducteurs) pour les aiguiller et les aider à constituer leur dossier de demande à l’OFPRA mais aussi les nombreux recours auprès de la CNDA, du Tribunal administratif ou de la Cour d’appel selon les cas. Simone Fluhr, l’une des permanentes de Casas, rappelle que pour la seule année 2010, « l’équipe a constitué 660 dossiers pour l’OFPRA et 317 recours auprès de la CDNA. Au total, 1179 personnes ont été accompagnées dans ces démarches administratives qui nécessitent une grande rigueur sous peine de voir les demandes invalidées sur la forme, au mépris du fond. »

Début janvier, l’Office français de l’immigration et de l’intégration annonçait la restructuration des moyens mis en œuvre pour l’organisation de l’accueil des demandeurs d’asile : une baisse drastique des subventions et donc de l’aide effective. Plus d’aide juridique au recours devant la CNDA – « vidant ainsi de sa substance la Convention de Genève » – alors même que « les chiffres tendent à prouver que la véritable instance de protection se situe à la CNDA et non à l’OFPRA qui ne délivre des statuts de réfugié qu’au compte-goutte », assure-t-elle. « Nous en sommes venus à considérer l’Office comme un stade administratif à franchir avant de pouvoir se battre réellement auprès de la CNDA pour faire entendre la nécessité d’être protégé. »

Simone Fluhr de l'association Casas © Benoit Linder pour Poly

Les nouvelles mesures entraînent aussi la précarisation de l’aide à la constitution des dossiers de demande d’asile en retirant les moyens octroyés aux associations pour le recueil du récit de vie qui ne sera, désormais, plus que retranscrit en Français. « Ce récit est le point crucial de la demande. Nous menions jusqu’à présent trois entretiens personnels avec les demandeurs : un pour renseigner le fameux formulaire et recueillir leur récit, c’est-à-dire les raisons de leur exil et de leur demande d’asile, un second au cours duquel nous essayons de le préciser, en leur faisant raconter les atrocités vécues en allant au-delà de la détresse émotionnelle de personnes bien souvent persécutées dans leur pays d’origine. Enfin, un troisième où on relit le tout, dans leur langue, avant de l’envoyer, après traduction, à l’OFPRA. » C’est d’ailleurs au cours de ces trois entretiens que « la confiance se noue, que l’invitation à parler librement de ce qui leur est arrivé produit des paroles personnelles, sachant que cette instance considère bien souvent les déclarations du demandeur comme stéréotypées et les rejette. » Sans cette aide spécifique, les plus fragiles, les plus cassés par la vie, meurtris par les violences subies dans leur pays auront encore plus de mal à faire valoir leurs droits. Car l’asile est bien un droit constitutionnel en France depuis 1946.

Remises en question politique
Restent des justes comme Simone Fluhr, bien décidé à se battre bec et ongles pour que la France qu’ils aiment, celle « des valeurs, du partage, de la fraternité » ne disparaisse pas sous les coups de boutoir à droite d’une majorité présidentielle qui a progressivement et inlassablement stigmatisé les clandestins, lancé des débats nauséabonds sur l’identité nationale, la déchéance de la nationalité, mais aussi livré les Roms à la vindicte populaire et fait planer le doute sur les intentions de sans-papiers et d’étrangers en situation irrégulière bien souvent criminalisés par avance car soupçonnés, pour le mieux, de venir profiter du système social français. Cette politique s’accompagne depuis près de dix ans d’une augmentation de la précarité des demandeurs d’asile. Les cinq lois sur l’immigration votées ces sept dernières années, notamment la “loi Besson” du 16 juin 2011, n’y sont pas étrangères. Elles ont progressivement supprimé leur droit au travail, baissé l’aide juridictionnelle à un montant dérisoire, réduit les délais de recours, systématisé les injonctions à quitter le territoire sans délai.

La politique du chiffre qui a vu Claude Guéant (actuel Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration) se donner pour objectif 30 000 expulsions annuelles, pousse à expulser un maximum de personnes détenues en Centre de Rétention administrative (comme ceux de Geispolsheim ou de Metz dans le Grand-Est) avant le cinquième jour de rétention. C’est le temps durant lequel un étranger peut être privé de liberté, pour le seul fait d’être en situation irrégulière, sans voir le Juge de la Liberté et de la Détention qui examine la légalité des conditions de son interpellation et se prononce sur sa remise en liberté ou sur la prolongation de sa rétention. En comparaison, le régime le plus strict de garde-à-vue, pour les personnes soupçonnées de terrorisme, est de quatre jours. Les procédures prioritaires d’expulsion, sans attendre le jugement des recours entamés devant le Tribunal administratif ou la CNDA qui ne sont pas suspensifs, se sont multipliés. Des gens sont ainsi expulsés alors qu’ils pourraient obtenir l’asile. La “loi Besson” a même inventé le bannissement définitif avec les interdictions de retour sur le territoire français.

Cette dégradation des droits et des conditions d’attente des personnes recherchant l’aide de Casas à Strasbourg ont poussé Simone Fluhr à prendre la plume pour témoigner. En septembre 2011, paraissait Mon Pays n’est pas sûr, ouvrage coup de poing détaillant par l’exemple les mauvais traitements réservés à des personnes recherchant protection. On y lit l’insécurité de familles vivant dans la rue, sans ressources, dans l’attente interminable du droit de se reconstruire en France après des années de souffrances. Les témoignages, aussi éloquents que poignants, se succèdent : Nino a fui la guerre civile géorgienne, Souleymane militait pour les droits de l’homme au Tchad, les journées entières à la Préfecture, la peur d’être arrêté… et de disparaître comme Elanchelvan Rajendram, Tamoul assassiné par l’armée sri-lankaise après avoir été renvoyé par la France. « Mon pays n’est plus sûr pour les plus faibles d’entre nous » écrit-elle. Aujourd’hui les demandeurs d’asile sont « malades, affamés, marqués par la rue. Il faut que les citoyens le sachent ! »

De témoignages en résistance
En 2006, déjà, Simone Fluhr et Daniel Coche avaient réalisé La Casa à la rue[1. Produit par Dora Films – www.dorafilms.com], documentaire témoignant à la manière d’un carnet de notes et d’images tenus entre 2000 et 2006, de la détresse sociale de 21 familles (dont 44 mineurs) demandant l’asile à Strasbourg qui avaient, avec le soutien de Casas, campé face à la Préfecture sur la place de la République, en plein hiver, pour réclamer un logement d’urgence. Ils remettent ça avec Les Éclaireurs, sorti simultanément avec le livre. Les images dévoilent l’insoutenable de trajectoires humaines terribles. Le regard d’une jeune rwandaise de 20 ans – qui a vu ses parents se faire massacrer, sauvée par le Haut Commissariat aux Réfugiés avant d’échapper au génocide et à la haine de ses voisins – qui se demande pourquoi elle n’a pas eu le droit de mourir avec ses parents nous hantera longtemps… Mais l’on découvre aussi un quotidien fait de dizaines de personnes à aider. Des histoires lourdes où la peine est double : les exilés subissent la violence de leur passé, mais aussi celle qu’on leur fait endurer ici. Nombreux sont à la rue, ne parlent pas notre langue et sont déboussolés par toutes les étapes de leur demande d’asile.

Simone Fluhr de l'association Casas © Benoit Linder pour Poly

Entre écœurement et découragement, détresse et colère, se dévoile l’immense force de l’équipe de Casas, mais aussi sa précarité. L’association n’est, depuis une dizaine d’années, plus seulement un lieu d’aide au recueil des récits de persécutions pour constituer les dossiers de l’OFPRA et autres recours, mais elle va plus loin, palliant comme elle peut aux déficits de places du Samu social (115). Y séjourner est de toute façon devenu trop dangereux lorsqu’une procédure de recours au rejet de l’OFPRA est fait car il faut y indiquer une adresse. En conséquence, la Police de l’Air et des Frontières rôde aux abords des accueils de nuit, des restos du cœur et des bureaux de Casas, prête à les cueillir comme de la mauvaise herbe, braves gens. Si elle se refuse à parler de traque, Simone Fluhr n’en appelle pas moins à « une loi supérieure à toutes celles édictées par un État, celle de la conscience personnelle. Même si nous l’avons oubliée car nos périodes sombres sont anciennes : on ne peut obéir aveuglément. Il faut se rappeler ce que l’obéissance aux lois et aux ordres a engendré. »

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Le 13 septembre dernier, deux mères de famille tchétchènes sont arrêtées à proximité de Casas où elles venaient chercher des tickets de cantine pour leurs enfants. Comme si la France se sentait menacée, qu’elle devait avoir peur de ces étrangers en demande de sécurité et d’asile. Aujourd’hui, la Cimade[2. La Cimade est une association de solidarité active avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile] estime à 35 000 le nombre de demandeurs d’asile sur les listes d’attente d’un centre d’accueil. Comment laisser ces gens à la rue et rentrer chez soi ? Comment ne pas résister à un système du chiffre ne considérant plus l’humain ? Avec de la débrouille et sans compter les heures, en sollicitant amis, connaissances, réseaux, associations en tous genres et citoyens solidaires, ils finissent par trouver un toit et de la nourriture aux familles, repoussant sans cesse les limites de l’association et de chacun des membres avec le désagréable sentiment que « tout cela arrange l’État, car le manque est comblé. La misère moins visible, mais où est passée la fraternité de la Déclaration universelle des droits de l’homme ? »

En attendant, les Centres de Rétention Administrative (CRA) se remplissent et se modernisent, avec le même effet pervers que dans les prisons de dernière génération. Le dernier en date, créé au Mesnil-Amelot (77), peut accueillir 240 retenus. « Rien à voir avec celui de Geispolsheim qui est à taille humaine », confie Muriel Mercier, coordinatrice de la Cimade Grand-Est de 2006 à 2010. « Mesnil-Amelot est une industrie à enfermer pour expulser » dénonce Simone. « La bonne nouvelle c’est qu’après l’expulsion politique de la Cimade des CRA, qui dérangeait avec ses rapports de plus en plus durs contre ce qu’elle y constatait, cinq associations se partagent désormais les CRA (Cimade, Forum Réfugiés, Ordre de Malte, ASSFAM et France Terre d’Asile). Elles viennent de sortir un rapport commun[3. Centres et locaux de rétention administrative, Rapport commun 2010 – www.cimade.org]. Ils n’ont donc plus un contradicteur, mais cinq ! Je crois que si les gens savaient vraiment ce qui se passe, on n’en serait pas là. C’est ce qui me porte… » Pour Muriel Mercier, aujourd’hui en poste dans le Languedoc-Roussillon, « l’iniquité des procédures de recours écrites en CRA ou quasiment aucun retenu n’écrit notre langue, est patente. De plus le recours doit être effectué en cinq jours avec, bien souvent, un interprète au téléphone… Rien n’est fait pour le faciliter. Pire, les renvois en dehors de nos frontières avant le passage du Juge de la liberté et de la détention ne sert qu’à gonfler les chiffres, mais ne luttent aucunement contre l’immigration clandestine ! Les demandeurs d’asile expulsés reviennent de toute façon en France. L’État ne fait qu’augmenter ses statistiques en mélangeant immigration clandestine et demandeurs d’asile sans régler aucun problème. »

Un avenir en pointillés
Pour Casas, l’avenir s’écrit au conditionnel. Pour l’instant, les dons ont pallié aux baisses de subventions. Mais jusqu’à quand ? Pour Simone l’écoeurement est palpable : « Une année de fonctionnement de Casas revient à 300 000 euros. Nous sommes prêts à nous battre pour continuer à fournir un travail fou dans cette précarité, mais pas à renoncer à aider ces gens. Sinon, que deviendraient-ils ? » L’association recherche donc d’autres sources de financement et continue de se battre. Hauts les cœurs !

 

le droit d’asile en chiffres
D’après son Rapport d’Activité 2010, l’OFPRA a traité 52 762 demandes d’asile (mineurs inclus), dont 36 931 premières demandes. Il n’a rendu que 5 096 décisions d’accord, soit 13,5 % des demandes acceptées. Sur les 32 571 demandes rejetées, la CNDA en a annulé 5 244. Ce sont donc au total 10 340 personnes (27,5 % des demandeurs) qui ont été « placées sous la protection de l’Ofpra », selon la formule consacrée, en 2010. La France considère donc avoir eu affaire à 42 422 fausses demandes !
Le Rapport d’Activité 2010 de l’Ofpra est téléchargeable au www.ofpra.gouv.fr

 

CASAS, le Collectif pour l’accueil des solliciteurs d’asile à Strasbourg est situé 13 quai Saint Nicolas
03 88 25 13 03 – www.casas.fr

Simone Fluhr, Mon Pays n’est pas sûr, coédité par Scribest Publications et Dora Films, collection Les Contemporains (12 €)

Les Éclaireurs, documentaire de Simone Fluhr et Daniel Coche, produit par Dora Film (10 €) sera projeté du 9 au 12 mars au Festival international des Droits de l’Homme de Paris, le 15 mars à l’Institut Le Bel (Strasbourg), le 16 mars à Sewen (68), le 19 au ciné Le Comté de Poligny (39), le 20 mars à l’ARES de Strasbourg – www.dorafilms.com

Aller plus loin
MigrationsÉtat des lieux 2012, édité par La Cimade, janv. 2012 – www.lacimade.org

Centres et locaux de rétention administrative, Rapport 2010 de l’Assfam, du Forum Réfugiés, de FTDA, La Cimade et l’Ordre de Malte, déc. 2011

Cette France-là, Volume 1, paru le 6 mars 2009, épuisé mais disponible gratuitement en ligne – www.cettefrancela.net

Cette France-là, Volume 2, annales de la politique d’immigration hexagonale entre le 1er juillet 2008 et le 30 juin 2009, paru le 8 avril 2010, (18 €) – www.cettefrancela.net
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