Stanislas Nordey adapte “Le Voyage dans l’Est” de Christine Angot au TNS

© Jean-Louis Fernandez

Pour sa dernière création au TNS, Stanislas Nordey adapte Le Voyage dans l’Est de Christine Angot, dont il entend magnifier l’écriture.

Christine Angot revient sur l’inceste paternel dont elle a été victime à l’adolescence et l’emprise subie jusqu’à l’âge adulte. Comment est née l’envie de porter ce récit au théâtre ?
J’ai été bouleversé par la maturité de l’écriture et cette nouvelle traversée de son histoire, que je connais bien. Je lui ai fait part de mon envie de mettre en scène le roman et, après de longues discussions, le projet a pris forme. Je ne tenais pas à monter une pièce sur l’inceste, c’est le texte qui m’a séduit. J’ai donc voulu mettre en valeur ce geste littéraire pour faire entendre la force d’une écriture racontant ce qu’on s’autorise à dire et ce que c’est d’être témoin d’actes aussi terribles.

Christine Angot © Rachael Woodson

Vous avez déjà travaillé sur l’écriture de soi, notamment avec Edouard Louis : comment porter un tel roman au plateau ?
C’est un vrai challenge ! La vie de Christine est au cœur du récit et le structure en trois périodes (de 13 à 25 ans, de 25 à 40 ans puis de 40 ans à aujourd’hui) donc il m’a semblé important qu’un trio de comédiennes l’incarne sur scène. Pour situer les époques et recréer les “scènes de crimes”, c’est-à-dire d’inceste, la scénographie s’appuie aussi sur la vidéo, notamment des images d’archives. Enfin, l’enjeu était de ne pas tomber dans le graveleux. Faire usage de la nudité était inimaginable. J’ai préféré m’en tenir au texte, car ce sont les mots du père, ceux imposant l’inceste, qui font le plus mal et nous choquent en tant que spectateurs.

Christine Angot sonde sa propre conscience sous emprise, renvoyant à la notion de consentement. Dans la pièce, deux figures masculines jouent un rôle essentiel à cet égard : son père dans la première partie, son époux Claude dans la seconde.
Elle avait conscience de ce qu’elle subissait mais n’a pu s’y opposer ; ni en parler avant l’âge adulte. En creusant dans le passé, elle réaffirme ainsi la force de sa lucidité. Toutefois, outre la parole qu’on ne peut formuler, se pose la question de celle qui n’est pas entendue, par son père mais aussi par Claude. Ces deux hommes toxiques planent comme des ombres. Si le père est un bourreau, l’époux est en revanche un homme tout en nuances. Il a sauvé Christine mais s’avère faillible : il a connaissance de l’inceste, aurait pu témoigner auprès de la police mais a refusé de le faire, empêchant alors son épouse d’obtenir justice. Cette ambivalence m’a frappé car c’est peut-être à lui qu’on peut le plus facilement s’identifier. Même si cette histoire est celle de Christine, la finesse et la complexité des personnages disent aussi, plus largement, ce que c’est d’être un homme aujourd’hui.

Stanislas Nordey
Stanislas Nordey : Le Voyage dans l’Est (maquette de décor) © Emmanuel Clolus

Au Théâtre national de Strasbourg du 28 novembre au 8 décembre
tns.fr

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