Sound writers

Futura, Johnny (backdrop for the Clash concert), 1982 © Collection privée

Avec Fire on fire : Art music / Street club studio, la Galerie Poirel de Nancy explore les fécondes relations entre graffeurs et musique underground depuis les années 1980.

Second temps fort d’une saison dédiée aux arts urbains marquée par trois expositions, des performances en work in progress (avec Aryz aux Beaux-Arts) et des commandes publiques1 passées aux artistes Momo et Poch, Nancy poursuit le coup de maître signé avec la rétrospective dédiée à la photographe Arlene Gottfried2. En plus de 150 œuvres plastiques, sculpturales, peintes ou vidéos, Fire on fire revient sur les liens qui ont toujours uni les writers3, bien avant l’avènement du graffiti tel qu’on le connaît aujourd’hui, aux mouvements artistiques musicaux contestataires. Si l’image d’Épinal lie street art et hip-hop, la bande-son de cette exposition révèle l’accompagnement successif de l’apparition du punk à l’electro, du funk en passant par la pop culture que les artistes urbains ont contribué à promouvoir, comme à sanctifier : pochettes de vinyle de jazz de Basquiat, Radio clash signée FUTURA 2000, sérigraphies de Billy Idol ou Strummerville de Shepard Fairey alias Obey ou encore reproduction du Thriller de Michael Jackson en Rubik’s Cubes d’Invader. La puissance de l’émergence musicale, comme des figures iconiques incandescentes, trouve un écrin dans le geste sauvage d’artistes de rue bombant dans l’urgence, jetant leur peinture comme un signe de liberté adressé à un urbanisme violemment défaillant. Trente ans plus tard, à la manière de Kandinsky ou Mondrian avant lui, attirés par le minimalisme des partitions musicales, Alexandre Bavard alias Mosa, signe des arabesques sur des papiers transparents superposés qui dessinent comme des portées de lettrages formant des êtres en mouvement. Telle les notations en danse contemporaine laissant trace de chaque geste, sa Partition Bulky constitue une transcription des graffeurs en train de peindre, une chorégraphie du corps dessinant sur les murs. Dans un autre mélange d’arts et de styles, le photographe Florent Schmidt fait des portraits de stars (Joey Starr, Aro…) avec leur nom tagué en light painting par-dessus leur visage. L’éphémère et l’invisible réunis comme au temps de l’argentique, le son devenant signe.

Trois icônes
Parmi les artistes présentés, trois personnalités marquent les esprits. Passé des dépôts de trains du South Bronx aux galeries d’art de Manhattan, Futura a toujours été un ton au-dessus des autres. Au début des nineties, il crée des toiles semi-peintes où se mélangent aérosol et taches pointillistes, personnages futuristes et lettrages reconnaissables entre tous. Il invente même son double, un Pointman plus bédéesque que tiré des comics qui jalonnent pourtant la contre-culture américaine. Ses grands formats sont de pures merveilles de formes et de couleurs, d’équilibre entre le support et la peinture qu’il y projette. Dans un style plus figuratif, Doze Green a lui aussi fait sienne l’Histoire de l’Art. Ses B-Boys stylisés à l’instar de son hommage à Mr. Wiggles (2015) – l’un des rois du popping qui enflamma les battles avec le Rock Steady Crew et les Electric Boogaloos – forment un mélange entre le cubisme de Picasso et les formes oblongues de papiers découpés de Matisse pour des silhouettes étonnantes où le trait règne en maître. Dance of the Jinn (2015) multiplie les figures totémiques hybrides dans une cosmogonie égyptienne pleine d’anthropomorphismes à corps d’humains et têtes de dieux animaux remplie d’orgies de couleurs et de croisements magiques dans lesquelles les femmes y ont toujours des formes voluptueuses. Last but not least, RAMMΣLLZΣΣ, pseudo en forme d’équation mathématique qui forgea un néo-futurisme fougueux à TriBeCa, quartier en-dessous de Canal Street à NYC. Né en 1960 dans le Queens, cet artiste pluridisciplinaire disparu prématurément en 2010 avait eu le temps de fonder des groupes de rap dont son ami Jean-Michel Basquiat dessina l’une des pochettes (Beat Bop). Mais sa démarche la plus passionnante réside dans la création d’un véritable panthéon de Garbage Gods : des divinités nées d’amoncellements de détritus d’une société de consommation peu avare en la matière. Les costumes de ses néo-dieux, il les habitait lors de ses expositions pour des performances cultes, sûr de son effet de la nécessité de conserver une âme contestataires, surtout lorsqu’on joue le jeu du marché… artistique !


À La Galerie Poirel (Nancy), jusqu’au 30 mars
poirel.nancy.fr

Visites commentées les mercredi 4, 11, 18 et 25 janvier à 16h30

La Musique s’affiche, atelier des vacances pour les 7-11 ans, vendredi 21 ou 28 février (14h30), sur réservation

Raconte-moi l’art à la manière d’Invader, atelier réservé aux 7-11 ans, dimanche 1er mars (14h15), sur réservation

1 Dans le cadre d’ADN – Art dans Nancy, programme qui met à l’honneur le street art dans le domaine public depuis 2015

2 Lire Brooklyn follies dans Poly n°225 ou sur poly.fr

3 Terme désignant l’art d’écrire, de tracer des inscriptions ou de laisser trace dans l’espace urbain public

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