Sorry Angel

Photo de répétitions d’Alexandre Pupkins

Tout juste créée à l’Hippodrome de Douai, la nouvelle pièce de Gérard Watkins est accueillie à La Manufacture de Nancy. Lost (replay), une comédie romantique terriblement moderne où trois anges déchus prennent en main le destin de deux inconnus. Interview.

Lost (replay) fait référence à Paradise Lost (Le Paradis perdu) de John Milton, trace de votre intérêt pour les textes d’inspiration religieuse ?
Je me suis lointainement inspiré de Milton, écrivain et poète du XVIIe siècle. Paradise Lost est un poème épique qui relate la chute des anges et la tentation d’Adam et Eve au Jardin d’Eden. Je replace cette histoire de nos jours : deux êtres humains subissent l’influence de trois anges qui leur offrent une dernière chance à saisir pour ne pas recommencer le cycle de leurs vies un peu ratées. Je suis un athée convaincu mais passionné par les histoires tirées des religions, notamment de la Genèse.

Qu’est-ce qui, dans le monde d’aujourd’hui, vous a poussé à écrire cette histoire d’anges expulsés du Paradis décidant de faire naître l’amour entre deux inconnus sur Terre ?
J’ai l’impression que dans le projet commun de l’humanité tel que nous le vivons actuellement, l’être humain est laissé de côté au profit d’une soi-disant modernité où les actes consuméristes sont devenus dominants. Tous les progrès technologiques tendent à nous faire croire que les nouveaux moyens de communication (Facebook, les smartphones…) améliorent nos relations et notre vie alors même qu’ils ne font que renforcer, n’en déplaise à notre inconscient collectif, la solitude de chacun. Hub, l’homme dont les anges choisissent de s’occuper, est chargé d’écouter les conversations entre les clients et les services après-vente délocalisés d’une grande société. Fay, quant à elle, vient d’acheter une Freebox et appelle l’aide en ligne, en Inde. Son voisin d’immeuble, n’est autre que Hub. Notre monde économique est totalement fragmenté, les responsabilités humaines sont dissolues de sous-traitant en sous-traitant, preuve que la société ne marche plus. Le projet de ces anges décidant de contribuer à unir Hub et Fay n’est pas politique. Ils veulent simplement redonner du sens à l’amour et à l’émotion, à la sincérité des rapports humains.

Cette quête d’humanité au cœur de la pièce cache en partie les raisons ayant exclu les anges du Paradis…
Dans l’histoire de Milton, ils sont en rébellion. Dans ma pièce, je préfère entretenir le flou, laisser libre cours aux interprétations. Ils pourraient ne pas être des anges mais trois personnes virées d’une usine ou encore des réfugiés d’un pays de l’Est passés en ballon au-dessus de Checkpoint Charlie. Ils sont ballottés d’une désillusion à une autre dans notre monde cassé. Au Paradis, personne ne les écoute dire que le monde va mal. Le paradoxe est qu’on les en chasse pour qu’ils fassent quelque chose. Lost (replay) est aussi une métaphore de la manière dont les étincelles produisent des choses formidables, le monde du désir et de l’inconnu qui a de tout temps été important au théâtre.

Comme un prolongement des Ailes du désir de Wim Wenders, les anges décident d’intervenir pour les humains et plus seulement d’observer…
Ils s’infiltrent dans l’immeuble où on les prend pour des exclus, des réfugiés. Fay, très cartésienne, en est persuadée tandis que Hub croit tout de suite qu’ils sont des anges. Chacun possède un ange gardien qui les fera accoucher de qui ils sont, comme des thérapeutes.

Vous invoquez aussi William Blake, expliquant que nous avons besoin, comme lui, de dialoguer avec des anges déchus et en état de révolte pour lutter contre le monde d’aujourd’hui. Une posture engagée…
Je crée cette pièce pour réveiller le monde, ou du moins les gens qui viendront la voir mais je souhaite le faire avec force, originalité et esprit ludique. La crise économique dans laquelle nous sommes plongés en Europe depuis trois ans fait que l’humanité ne se retrouve plus dedans. Je ne souhaite pas être dans un rapport accusateur mais plutôt dire : ouvrez les yeux, de manière compassionnelle. L’imaginaire et la beauté sont là pour que nous nous trouvions nous-même et pour que nous apprenions à être heureux.

Ces trois anges sont d’ « étranges étrangers » comme le dit Prévert. Vous les faites passer pour des réfugiés de l’Est, des inconnus servant de révélateurs de notre société, permettant de porter un regard critique neuf ?
Ce besoin de regards neufs a toujours été dans mes textes. L’autre, en amour, pose un regard nous permettant de nous réveiller et d’être en éveil. J’ai toujours considéré l’étranger comme une bénédiction, précisément pour cette raison-là. Les anges de la pièce sont exotiques car ils passent leur temps à vivre dans la passion, le désir et la poésie. Ils sont très loin de nous ! Pour la première fois, je m’approche de la comédie romantique shakespearienne dans un mix terriblement moderne.

Parlez-nous de la scénographie que vous avez imaginé et de l’esthétique des costumes ?
Elle est très organique avec trois niveaux montant en escaliers qui constituent comme une boîte magique permettant les circulations. Un immense mur derrière les comédiens tombera pour révéler un toit… mais je vous laisse quelques surprises. Les anges seront en smokings et chemises rouges, les êtres humains simplement en robe et chemise. Tout cela donne une scénographie très plastique qui fait penser à une pochette des Cure.

À Nancy, au Théâtre de la Manufacture, du 18 au 24 octobre
03 83 37 42 42 – www.theatre-manufature.fr


Master class d’écriture avec Gérard Watkins en partenariat avec la Médiathèque de Nancy, vendredi 19 et samedi 20 octobre au Théâtre de la Manufacture

vous pourriez aussi aimer