Sœurs sur la ville

Photo d’Annabelle Simon par Anne Barbot

Le collectif In Vitro « provoque le réel » avec Tchekhov dans la ville, mise en scène hors-les-murs des Trois sœurs.

Dans cette déambulation théâtrale qui se joue à Belfort, passant par une librairie, un restaurant et un salon de coiffure, les Trois sœurs ne sont plus que deux. L’intrigue se resserre ainsi autour d’Irina, Macha et leur frère Andrea. Le reste de la famille, parfois évoqué, laisse place à d’étranges personnages: les propriétaires actuels des lieux que visite le public. La trame est elle aussi modernisée puisque la fratrie n’exerce plus dans l’enseignement, ne rêve plus de Moscou mais de New-York. L’incapacité à changer leur existence demeure. Macha reste la sœur râleuse et fataliste, Andrea l’endetté idolâtré sans raison manifeste et Irina, la benjamine oisive, partagée entre rire et larmes. Ces figures, qui sont les plus singulières et extrêmes de la pièce, partagent leurs tensions familiales et amoureuses, ainsi que leur désir de tout plaquer, sans jamais oser le faire. Le collectif entend ainsi « confronter les problématiques de l’œuvre à celles de nos vies et imaginer comment Tchekhov pourrait répondre aux questions contemporaines », indique Annabelle Simon, qui incarne Macha. Pour intégrer « nos vies » au spectacle, In Vitro mise sur la véracité des lieux de représentation. Les comédiens dépassent la frontière des portes du théâtre en allant vers le public, pour une rencontre située dans le flou entre la fiction de la pièce et la réalité de l’endroit et de ses propriétaires.

La pièce est étalée sur une journée durant laquelle les spectateurs rencontrent successivement chaque personnage sur son lieu de vie, qui varie d’une représentation à l’autre. Si à Toulouse Andrea travaillait dans une médiathèque, à Belfort il devient libraire. Il en va de même pour le père décédé, souvent évoqué, marin à Lorient et haut-fonctionnaire auprès d’Airbus à Toulouse. Pour pleinement s’immerger dans leur rôle, les acteurs s’imprègnent de ces endroits pendant quatre jours, afin de peaufiner l’adaptation du premier acte. Celui-ci reste constamment en mouvement, au gré des réalités de l’instant et du lieu, ce qui permet de souligner la « fragilité du présent », précise Richard Sandra, interprète d’Andrea. Les propriétaires des locaux deviennent les interlocuteurs des comédiens, créant un mélange de surprises et d’improvisations, véritable pari théâtral puisqu’aucune répétition n’est organisée au préalable. La scène finale a lieu dans le restaurant de Macha, où se prépare l’anniversaire surprise d’Irina. Les spectateurs y prennent part en suivant les instructions de la sœur ainée, à l’instar de musiciens locaux, choisis par Le Granit, que les comédiens rencontrent, pour la première fois, en même temps que le public. Une pièce où personne ne se met d’accord, mais où tous jouent ensemble.


Dans les rues de Belfort, samedi 12 octobre
legranit.org

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