Scouts vs Chouc’

© Benoît Linder

À ma gauche, Roger Siffer, l’âme (damnée) de La Choucrouterie. À ma droite, Daniel Chambet-Ithier, son homologue chez Les Scouts. Que la battle verbale commence entre deux des plus fins bretteurs du cabaret alsacien. Dialogue au 345 654e degré…

Pouvez-vous vous présenter l’un l’autre ?
Daniel Chambet-Ithier. On s’est séparés il y a trois ans…
Roger Siffer. Il a la garde des enfants !
DCI. Présenter Roger Siffer ? Quelqu’un qui défend les valeurs de la culture régionale, souvent de manière provocatrice, et c’est la seule chose qui m’intéresse parce que si c’est pour les défendre avec des thèses universitaires que personne ne lit… La seule manière d’être audible aujourd’hui, est la provoc’ même si avec le grand âge, Roger a de plus en plus de mal à sortir les dents. Mais il y arrive de temps en temps.
RS. Je pense que je t’ai connu à L’Ange d’Or. Vous aviez des noms de totems scouts à coucher dehors !
DCI. Ah non, des noms très intelligents. J’étais Scolopendre agile, Chevallier était Cloporte hilare…
RS. Moi qui ai été scout, je trouvais ça un peu blasphématoire. À Villé, il n’y avait pas beaucoup de possibilités. Soit on était scout soit on restait à la maison.
DCI. En fait, t’es un peu catho de gauche, non ?
RS. De gauche, sûrement.

Vous êtes réunis par un fonds commun de personnages, vos meilleurs ennemis : Robert Grossmann, Gilbert Meyer, Philippe Richert, Roland Ries…
RS. La satire et le cabaret aussi !
DCI. Mais nous sommes de deux écoles différentes. La Choucrouterie a une approche plus alémanique du cabaret, plus engagée politiquement, plus militante. Les Scouts sont plus mâtinés de café-théâtre parisien, on y trouve plus de légèreté.
RS. C’est notre 18e revue. Je ne voulais pas en faire du vivant de celui qui m’a tout appris : Germain Muller.
DCI. Paix à son âme (dit-il en se signant, NDLR).
RS. Il m’a montré que cette région est une des seules de l’hexagone à avoir ce sens du cabaret. Je m’apprête à le faire reconnaître par l’Unesco. On a un vrai amour de la dérision, il n’y a pas que Les Scouts ou nous, mais une quinzaine d’autres. C’est dû à une situation historique et géographique : il fallait se protéger, avec le rire, du puissant voisin…
DCI. Tu parles de la Belgique ?
RS. Du Luxembourg ! Ma seule école ? Les deux années passées derrière le rideau à regarder comment Germain Muller, arrivant sur scène et ouvrant grand les yeux, faisait rire 500 personnes.
DCI. Nous n’avons pas le même respect pour Germain Muller. Je ne le connaissais pas, et suis venu de Paris pour essayer d’évangéliser cette région. Depuis 40 ans je m’y casse les dents mais, putain, j’y arriverai !

Le Revue scoute

L’ouverture vous différencie aussi. Les Scouts évoquent  longuement la Grèce, les révolutions arabes, “Fukushimeim” alors que La Chouc’ est plus centrée sur l’Alsace…
RS. C’est toujours le cas chez nous. Germain n’est qu’un maillon d’une filiation beaucoup plus ancienne : Sébastien Brandt et sa Nef des Fous, Wimpheling et son livre de blagues, Hansi qui mettait à ses débuts du Schnaps sur la chaise où un soldat prussien s’était assis pour désinfecter… Cet engagement est plus régional, c’est pourquoi on traite l’affaire DSK, par exemple, sous l’angle du pacte entre le Haut-Rhin et le Bas-Rhin.
DCI. Nos sujets sont plus nationaux ou internationaux, mais par le prisme alsacien. On présente les femmes de Ben Ali et de Moubarak en les mettant au Printemps de Strasbourg. Le “printemps arabe” au magasin de Strasbourg…

Chantal Auger fait une entrée fracassante dans les deux revues…
DCI. C’est un sketch qui ne durera pas dans le temps, car les gens s’en fichent…
RS. Moi je l’ai placée dans une chanson sur la Place du Château pour coller à l’actu’ mais je sens déjà, trois semaines après, que le rire est moins fort. Il va aussi falloir la changer.

Ce procédé d’actualisation des sketchs est-il permanent ?
RS. Oui… Mélenchon, par exemple, avec l’histoire du Concordat étendu à la France entière : un naufrage annoncé, le Costa Concordat !

Mélenchon est propulsé par les Scouts en haut de l’affiche avec ses “Mélenchonnes”…
DCI. Ces femmes s’investissent corps et âmes pour défendre une cause ! En même temps, il est tellement couillu… C’est ce qui nous manquait. Ce n’est pas avec Bayrou qu’on va trouver de la couille ou alors de la couille molle.

Si la Chouc’ a toujours défendu le dialecte, jouant simultanément sa revue en français et en alsacien, les Scouts y semblent moins attachés ?
DCI. Je vous ai déjà dit que j’étais venu ici pour essayer de faire en sorte qu’il disparaisse. C’est une espèce de chancre mou dans le paysage culturel français. Depuis 40 ans, j’échoue, mais je m’accroche ! Cette langue est vivace. Elle devrait logiquement mourir… et pourtant les gamins dans les villages continuent de le parler. Nous ne mettons pas de dialecte mais quand un sketch est un peu fragile on installe deux répliques en alsacien, et ça repart !
RS. Le succès de la revue alsacienne est extraordinaire. Les gens recherchent le plaisir de la langue, son excès, sa grossièreté.

Vous intégrez petits à petit des jeunes à vos revues. Comment voyez-vous la relève ?
DCI. Il va falloir faire vite parce que dans l’état où est Roger…
RS. C’est difficile de trouver de la jeunesse en dialecte. Il ne suffit pas de le parler, il faut un minimum de métier. Souvent ils sont déformés par le théâtre : il faut combattre les blancs, leur expliquer de jouer avec les gens. Au théâtre tu peux rester deux heures sans considérer le public, tu t’en fous ils applaudissent à la fin ! Au cabaret, c’est lui qui te donne le rythme du sketch. C’est son secret. Il faut le créer en coupant le rire, ce qui est très compliqué : laisser arriver le rire mais pas le laisser retomber. Dès qu’il est au paroxysme, on doit donner sa réplique suivante dans le rire.
DCI. L’idéal est d’arriver à l’asphyxie du public, le moment où il n’arrive plus à reprendre sa respiration entre les rires. On peut avoir un ou deux arrêts cardiaques par saison…
RS. J’ai proposé à Roland Ries de créer Une École de Cabaret pour enseigner ces techniques. Une fois que les dinosaures que nous sommes ne transmettront plus ça, qui le fera ?

La troupe de La Choucrouterie au grand complet

Et Robert Grossmann, que feriez-vous sans lui ?
DCI. Moi je l’ai vu aux Scouts et je lui ai dit que notre avocat allait s’occuper de lui parce que dans son dernier livre, que peu de gens ont lu, il dit du bien de notre revue, ce qui peut nous porter préjudice ! Je me demande jusqu’à quel point Roger ne l’a pas payé pour qu’il dise du mal de lui…

C’est vrai qu’il s’acharne sur vous Roger…
RS. Je ne l’ai pas lu ! On m’en a parlé, j’ai lu vos papiers mais j’ai toujours dit que je lirai Grossmann quand il écrira lui-même ses livres. Il va d’ailleurs monter un spectacle ici. C’est un scoop.
DCI. Tu lui as proposé mais il ne t’a pas encore répondu. Je connais tout de lui.
RS. Moi ça m’intéresse qu’il fasse quelque chose, d’avoir un personnage comme lui qui vienne sur scène pour régler ses comptes avec moi. Il veut aussi dire des textes plus sérieux, du Malraux sur l’art par exemple. Je pense que je vais me débarrasser du problème en lui donnant carte blanche.
DCI. En même temps c’est le seul qui parle encore de culture et qui s’y intéresse. Ce n’est pas avec Ries et consort qu’on va avancer sur ces questions ! Le mot Culture est sorti du vocabulaire des politiques. Après c’est vrai que Grossmann est difficilement gérable…

 Indignés presque parfait est à voir à Schiltigheim, à la Salle des Fêtes, jusqu’au 2 avril (puis en tournée dans toute l’Alsace)
03 88 83 84 85 – www.ville-schiltigheim.fr

Apolcal’hips Show est à voir à Strasbourg, à La Choucrouterie, jusqu’au 5 avril (à 20h30 en alsacien et à 20h45 en français)
03 88 36 07 28 – www.theatredelachouc.com

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