Retour par Anvers

© Erwan Soumhi

Installé à Strasbourg, le plasticien-performer Christian Botale-Molebo poursuit son projet KOK-LAT-VIL1. Actes et sculptures, pirogue et errances de Bruxelles à Anvers ou Kinshasa. Avant de revenir.

Des photos d’images arrêtées. Des cartes. Des carnets noircis mêlant pensées brutes, réflexions et documentation amassée. Des retranscriptions sonores. 11 Nkissis2 réalisés à Strasbourg, puis à Kinshasa après un workshop avec des étudiants des Beaux-Arts. Un immense tronc lentement taillé pour former une pirogue de 11 mètres, comme autant de provinces en République démocratique du Congo. Enfin, un film de 60 minutes pour témoignage début 2019. Christian Botale-Molebo fêtera ainsi les dix ans de son arrivée en France avec KOK-LAT-VIL Anvers à l’envers, dernier volet d’une guérison intime passant par la réinvention de rituels, la réappropriation d’un héritage impossible. Celui d’un père élevé dans le clan Ekonda des Mongos, dans un village de la province de l’Équateur en RDC, qui partit pour la capitale dans un voyage sans retour, entre domination des colonialistes et joug de Mobutu. Cet arrière-petit-fils d’un missionnaire belge nommé Van Bothall, dont les descendants changeront le patronyme en Botale (“immense” en lingala) à l’époque du retour à l’authenticité africaine prônée au Zaïre, est en quête d’histoire et de sens.

© Erwan Soumhi

En 2011, l’artiste avait découvert l’immense collection du Musée royal de l’Afrique centrale à proximité de Bruxelles. Il a depuis accédé aux archives de l’institution, fermée depuis fin 2013 pour rénovation. Une pirogue trône dans le hall, « le seul objet offert au roi des Belges, les autres ayant été pillés » assène celui qui s’est penché sur l’Exposition internationale de Bruxelles de 1897 où des Congolais ont été offerts aux regards dans des zoos humains. « Sept tombes dans le jardin témoignent des morts de froid. » Lui s’intéresse aussi « aux phénomènes (démangeaisons, cécité…) de l’époque touchants les premiers visiteurs au contact des Nkissis encore chargés de magie. » Certaines œuvres demeurent aujourd’hui encore enchaînées dans les caves du musée. Christian a débuté au mois de mai la sculpture de sa propre pirogue qui voyagera en juillet depuis Strasbourg jusqu’à Anvers, « le port de toutes les transactions avec l’Afrique coloniale » pour une série d’actes performatifs dont les traces seront conservées en photos et films. À l’automne, direction Boma, ancienne place forte de la traite négrière, via Kinshasa avec une peintre, une designeuse, un plasticien et un caméraman. Les Actes se poursuivent, prolongation de sa manière à lui de “charger” ses sculptures : à chaque clou qu’il y enfonce, un mot est prononcé, lié à sa condition, à la politique, à la mémoire de la RDC. Yeux cloués, bouches entravées, sexe violés… ses premiers Nkissis étaient lourds – pouvant accueillir jusqu’à 500 clous ! – témoins du danger et du risque. « Dans le processus, je transpire, me blesse, si bien que mon sang et mes courbatures s’y retrouvent. » Aujourd’hui, ils sont plus fragiles, « creusés pour y mettre des choses intimes : objets familiaux, matières, lettre de ma fille… » Sa manière à lui de « trouver sa guérison ».


1 Lire Les Statues meurent aussi dans Poly n°182 ou sur poly.fr
2 Sculptures anthropomorphes activées par des féticheurs, souvent plantées de clous

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