Renovação: le festival Passages devient Passages Transfestival pour ses 25 ans

Photo de Renato Mangolin

Célébrant ses 25 ans dans le Grand Est, mais aussi ses 10 ans d’existence à Metz, le festival Passages effectue sa mue, devenant Passages Transfestival. Le Brésil est au cœur de son édition 2021.


Rendez-vous international du spectacle vivant, Passages a pour lointain ancêtre le Festival mondial du Théâtre1 qui plaça la ville de Nancy sur la carte des lieux qui comptent et fit connaître un certain… Jack Lang. Quand le metteur en scène Charles Tordjman, alors directeur de La Manufacture, crée le festival en 1996, il ne sait pas encore qu’il connaîtra plusieurs vies. D’abord tourné vers l’Europe de l’Est, il devient biennal en 2004 avant de déménager à Metz en 2011. Le projet s’ouvre aux créations du continent avant de mettre le cap au Sud (Moyen-Orient et Afrique) sous l’impulsion d’Hocine Chabira à compter de 2016. Avec l’arrivée de Benoît Bradel à sa direction en 2020, la manifestation redevient annuelle et renouvelle un champ d’intérêt transdisciplinaire, centrant chaque édition sur « une zone géopolitique transcontinentale ». Reportée au mois de mai suite au reconfinement, l’édition 2021 bat au rythme du Brésil, pays au croisement des cultures indiennes, européennes et africaines, en pleine mutation sociale et politique après trois années de règne du populiste d’extrême droite Jair Bolsonaro. Au menu, 20 spectacles dont 6 créations et 3 premières mondiales. L’occasion de (re)découvrir le travail de quatre femmes d’exception, à commencer par Christiane Jatahy2, metteuse en scène et cinéaste qui conjugue avec brio ses deux passions pour donner une version toute personnelle de Mademoiselle Julie de StrindbergJulia (12/09, L’Arsenal, également le 10/09 au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg) mêle scènes projetées en vidéo, jeu en direct et images captées le temps de la représentation. La mise en abyme qui résulte de ce subtil montage en temps réel, duquel le spectateur est complice, magnifie les langages du 7e art et du théâtre et rend encore plus vivace la brûlante relation entre la fille d’un patron des beaux quartiers de Rio et son chauffeur noir, nouant la question politique au cœur de l’intime.

Critiques sociales
Moins connu, mais non moins intéressant sera Deixa Arder (Let it burn) des chorégraphes Marcela Levi et Lucía Russo (03/09, en extérieur au Coração). La performeuse Tamires Costa offre son corps à toutes les influences normatives touchant les personnes afro-descendantes au Brésil. Sous ses airs de mix burlesque et de références caricaturales au stand-up, se niche une pièce volontairement anarchique, reposant sur une virtuosité folle qui nous cueille sans coup férir. Car Deixa Ardera a un double sens, tout à la fois juron et injonction à se laisser toucher et enflammer. Ainsi sommes-nous les jouets d’une danseuse habitée, se défaisant avec un rictus des singeries du blackface tout en menaçant de ses yeux exorbités ceux qui prendraient tout cela trop à la légère. En elle coule les rythmes de Jorge Ben Jor, Mc Carol, Nina Simone, Michael Jackson ou Dizzy Gillespie. La puissance du corps s’y révèle telle quelle est : phénoménale. Inoubliable depuis son incroyable Cria exposant la vie quotidienne dans les favelas de Rio3, Alice Ripoll revient en Europe avec sa compagnie REC. Lavagem (08/09, L’Arsenal) prend la forme d’une irrévérencieuse étude de la propreté avec seaux d’eau et savons autour d’une grande bâche plastique bleue. Les danseurs y revisitent tout autant une injonction hygiéniste (laver les corps noirs), qu’ils critiquent la hiérarchie sociale brésilienne – sexiste et raciste – reposant sur la quantité de mélanine des individus. Et de se questionner sur ce qu’il faut laver si fort qu’il doive disparaître ? Au milieu de ce jeu de mousse, de bulles, de glissades et d’empoignades rendues compliquées par l’eau savonneuse, se dévoilent aussi des références allant du sombre (l’exode, les noyades) à de lumineux rituels de renaissances.


Danses salutaires
Cristina Moura aurait dû venir avec Ägô l’an passé, mais c’est bien Passages Transfestival qui aura la primeur européenne de cette création (10 & 11/09, Espace Bernard-Marie Koltès, puis 14/09, CCAM de Vandœuvre-lès- Nancy). En solo, elle met en jeu son corps pour interroger sa propre histoire et celle de son pays à l’aune du chaos social actuel, que la pandémie n’a fait que prolonger. Artiste phare de la scène internationale, la voilà qui s’empare de textes enflammés (Angela Davis, Frantz Fanon, Achille Mbembe…) dans une cérémonie gorgée d’humour corrosif en forme d’exorcisme collectif contemporain. Dans un tout autre registre, dénué de mots comme l’indique le titre de sa nouvelle pièce, Sem Palavras (10 & 11/09, Espace Bernard-Marie Koltès puis 23-25/09, CDN Dijon-Bourgogne), Marcio Abreu séduira les plus curieux. Avec son théâtre volontairement provocant, l’auteur et metteur en scène s’inspire ici d’Un Appartement sur Uranus, compilation de chroniques de Paul B. Preciado parues dans Libération où il évoque son processus de transition sexuelle et les mutations actuelles de l’humanité. Entre impulsions de vie et carambolages de genres, les allers et venues de personnages dans un appartement vide se multiplient. La confrontation des corps réinvente dans un vertige plein de subtilités de nouvelles manières d’être au singulier et au pluriel dans une recomposition d’espaces de rencontres et de partage.


Dans divers lieux de Metz notamment au “Coração” (situé entre Saint-Pierre-aux-Nonnains et L’Arsenal), du 2 au 12 septembre
passages-transfestival.fr

1 Lire Le Festival mondial du Théâtre de Nancy, une utopie théâtrale 1963-1983 de Jean-Pierre Thibaudat (Les Solitaires intempestifs)
2 Voir Poly n°227 ou sur poly.fr 
3 Voir Poly n°224 ou sur poly.fr

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