Rapt, le Dark Web selon Chloé Dabert à La Comédie de Reims

Chloé Dabert © Axel Coeuret (détail)

En créant Rapt à La Comédie de Reims, première pièce de la Québécoise Lucie Boisdamour, Chloé Dabert interroge le libre-arbitre et la vulnérabilité face aux flux d’informations qui nous assaillent.

 

Qu’est-ce qui vous a attrapée dans ce texte ?
Lucie Boisdamour a une très belle écriture, qui rappelle celle des auteurs que j’aime, notamment Lucy Kirkwood. J’ai d’ailleurs découvert le texte pendant que nous travaillions sur Le Firmament. Il est singulier d’arriver à écrire un spectacle à partir de fiction sur un sujet peu évident qui interroge la véracité de ce qu’on croit savoir, de ce qu’on nous dit. Quelles sont les informations que l’on reçoit ? Comment trie-t-on au quotidien le vrai du faux ? L’autrice plonge dans la fabrique de l’objectivité en posant la question de l’omniprésence des réseaux sociaux et d’Internet, le poids du trouble dans nos vies que cela apporte. Elle expose de manière claire la complexité de la construction de nos points de vue sur le monde, guettés par diverses formes de manipulation. Pour cela, Lucie a enquêté sur les nouveaux outils et la manière dont ils peuvent nous coincer autant que nous servir. Le résultat est plein d’humour, de suspense et de complexité dans le rapport aux autres et à la réalité. En cela, je retrouve l’une de mes obsessions : la manière dont le spectateur doit / peut / va se positionner sans qu’on lui apporte forcément une réponse. À l’instar de Boys and Girls de Dennis Kelly qui, derrière la violence, abordait de nombreux sujets (couple, amour, rapport social…), elle y parvient avec un style très rythmique et rapide. 

Une usurpation d’identité sert de point de départ à une enquête vertigineuse dans le Dark Web…
La pièce est un véritable thriller. Cette fausse identité du départ nous entraîne sur la frontière de ce qui est réel et de ce qui ne l’est pas, croisant communautés de pirates du Net, anonymes et groupes sur les réseaux sociaux. Autant de sous-groupes marginaux qui interrogent, à leur manière, le modèle de société actuelle. La question vertigineuse de la pièce réside sur la prise que nous avons – ou n’avons pas – sur notre monde. Celui qu’elle découvre est totalement parallèle, faisant vaciller toute certitudes concernant les news, la vérité, la manière de vérifier et de distinguer les faits de leurs détournements… au point de se retrouver un peu perdus dans la réalité. 

Va-t-on jusqu’au conspirationnisme ? 
Pas directement, ni frontalement, les choses sont plus ouvertes que cela. Mais le même genre de mécanisme est à l’œuvre afin de rendre vulnérable et fragile. On va faire croire aux personnages des choses folles en les rendant perméables à certaines idées qu’ils auraient balayées d’un revers de main précédemment. Un sentiment d’insécurité profonde à distinguer le vrai du faux s’impose. 


Les frontières entre réel et virtuel volent en éclat avec les identités multiples que l’on déploie entre son Moi réel et celui sur le Net… Et c’est encore plus vrai avec les digital native. Quelle génération est en jeu ici ?
Tout le monde est concerné. Les jeunes seront plus ciblés par la mise en garde sur les sources, car on sait que, souvent, ils les diversifient moins, regardent peu les JT et lisent peu la presse. Mais la question du libre-arbitre et de la construction de notre pensée est au centre de la pièce. Tout est ancré dans les sujets brûlants de la manipulation, devenue tellement facile avec les outils numériques… L’autrice fait théâtre avec cette matière qui parle aussi du théâtre, ce lieu où on fait du vrai avec du faux. Je reste volontairement assez floue sur l’intrigue car je trouve très belle l’idée de se laisser surprendre par la fiction. C’est moins frontal qu’un pamphlet, mais diablement fort ! 

Comment la scénographie participe-t-elle, à sa manière, de cette histoire ?
Les scénographies que j’imagine depuis toujours avec Pierre Nouvel sont de véritables espaces de projection. Nous sommes cette fois un peu plus du côté de la reconstitution des choses, même si cela reste épuré. Nous voulons des éléments réalistes avec une forte accessoirisation qui amène des appuis de jeu : du thé, une cuisine fonctionnelle pour partie pour des actions réalistes et concrètes. Et puis il devrait y avoir des images car le texte les convoque, même si, d’ici la première, elles peuvent encore disparaître. 

Vous vous méfiez de la force des images ?
C’est notre enjeu du moment à un peu plus de deux semaines de la création : jusqu’où aller avec les images car je cherche toujours à être le plus juste possible pour aider à raconter l’histoire. Trop d’images serait coercitif car elles nous rendent passifs et prennent énormément de place. Nous avons beaucoup travaillé la dramaturgie, la narration proposée étant complexe. Le texte est un peu dingue avec de nombreuses références (séries, films, podcasts). Nous avons pas mal d’archives. L’une appelle l’autre mais je me méfie, en effet, d’autant qu’une dimension cinématographique provient déjà de la création sonore et musicale. 


À La Comédie de Reims du 5 au 8 et du 19 au 21 décembre (dès 15 ans) 
lacomediedereims.fr 

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