Raison et sentiments

Photo de Simon Gosselin

Tiphaine Raffier réalise un négatif du monde dans France Fantôme, pièce d’anticipation autour d’une histoire d’amour dans une société sur-technologisée.

Vingt-cinquième siècle. Grâce à l’inventive machine du démémoriel, chacun peut décharger ses souvenirs pour les conserver, qui plus est en gagnant de l’argent. Ces données sont transposables dans une nouvelle enveloppe corporelle permettant de défier la mort. Pour tout souvenir stocké, une somme d’argent est en effet perçue et les chances de revenir à la vie dans de bonnes conditions s’accroissent. Véronique, professeure de Lettres à la fac, est sceptique face à cette révolution scientifique qui en amène inévitablement une culturelle, ou plutôt déculturée. En supprimant la représentation des visages humains par la peinture, la vidéo et la photo, cette société se préserve de tout attachement physique au corps humain qui n’est désormais qu’accessoire. Le business de la réincarnation redéfinit toutes les valeurs d’une France, séduite et peu révoltée, dont la devise est devenue « Lucidité Sérénité Immortalité ». Lorsque son mari Sam décède dans un attentat, l’héroïne décide d’entamer les démarches nécessaires afin de le faire “rappeler”. Camarade de Julien Gosselin à l’École du Nord – pour lequel elle a longtemps joué – Tiphaine Raffier s’approche de son univers par ses créations vidéos. Sur la partie supérieure de la scène trône un écran qui projette un ciel digne des plafonds d’églises sans angelots et des publicités proches du Starship Troopers de Paul Verhoeven. Débutant à l’intérieur d’une cuisine éclairée d’un projecteur sur pied rappelant un plateau de tournage, la pièce se joue dans un lieu public entouré de démémoriel évoquant des chauffe-eaux, ou des cabines téléphoniques. Pour accompagner les acteurs, deux musiciens rythment gravement la pièce au trombone, batterie, guitare et violoncelle. Au-delà du défi de mettre en scène de la SF au théâtre, Tiphaine Raffier expose « surtout une histoire sentimentale où Véronique doit passer de nombreuses frontières et aller à l’encontre de ses convictions pour retrouver Sam ». Idéologiques par les technologies qui bouleversent « le rapport anthropologique des hommes au temps, au corps, à l’amour et à l’image », ces limites sont aussi pratiques : « Partager ses souvenirs qui seront faussés, aimer un être qui n’a plus la même apparence ou vivre dans un corps qui n’est pas le sien » conclut l’auteure et metteuse en scène invitée au Festival d’Avignon 2020 pour présenter Création 4.

Photo de Simon Gosselin

Au Parvis-Saint-Jean (Dijon), du 10 au 14 mars
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Au Théâtre de l’Odéon (Paris), du 14 au 28 mai
theatre-odeon.eu

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