Qui êtes-vous, Molly Bloom ?

Photo de Stephan Vanfleteren

Avec Molly Bloom, le metteur en scène Jan Lauwers adapte pour l’extraordinaire Viviane De Muynck le dernier chapitre d’Ulysse de Joyce. Un monologue cru et délicat.

Voilà plusieurs décennies que les deux artistes se côtoient. En 2004, ils créaient La Chambre d’Isabella à Avignon, plongée dans le cerveau d’une vieille femme aveugle ayant traversé le XXe siècle, entre secrets et ivresse de vie. Une pièce qui fit date, révélant tout le talent d’une Viviane De Muynck se bonifiant avec les années. Il y avait déjà dans son personnage quelque chose de la Molly Bloom de James Joyce. La même acuité de conscience, les yeux clos. Une convocation des mystifications de l’imagination comme réponse à celles de la réalité, une passion indéfectible pour la vie, « seule arme contre la dictature du mensonge ». Il faut dire qu’en 1999, le metteur en scène et la comédienne avaient commencé à plancher sur l’ultime chapitre d’Ulysse, monologue au féminin. Mais le petit-fils de l’auteur irlandais en avait sonné le glas, refusant l’utilisation de l’œuvre. Une poignée de lectures clandestines eurent lieu en Allemagne, mais rien de plus.

Deux décennies plus tard, la voilà tombée dans le domaine public, ouvrant la voie à une reprise du travail autour de la parole de cette épouse infidèle. Publié en 1921, ce roman de plus de 700 pages racontant de manière fragmentée une journée ordinaire à Dublin fut longtemps interdit : une femme parlant librement de sexe, d’amour, d’amants, de menstruations, de regrets, avec ce mélange de panache et de profonde vérité introspective était bien trop libre pour la pudibonderie bourgeoise et ses carcans puritains. Tout ceci nous est, un siècle plus tard, offert dans un décor dépouillé d’artifices. Une table et une chaise, un angle vide pour le mari, l’autre pour l’amant. Et tout l’espace pour la Pénélope de Joyce, bien plus bavarde que son aïeule homérique. Molly Bloom parle pour les hommes de sa vie, piochant dans ses souvenirs, qu’elle émaille d’anecdotes. Ici on digresse sans fard, on cache si peu, on s’avoue tout. Premiers amours, mariage, aventures… la crudité est de mise, jusque dans les déceptions et les douleurs. Ivresse de vie, désir de se raconter dans une phrase immensément longue, suspendue, rythmée, dans laquelle Viviane De Muynck, septuagénaire au regard lumineux, séduit par sa gouaille délicate autant que par la profondeur de sa mise à nu. Dans la brutalité de ses souvenirs et de ses sentiments se dégagent la complexité d’une vie, doublée d’une dose d’espoir.

Photo de Maarten Vanden Abeele

À La Filature (Mulhouse) du 5 au 7 avril (dès 16 ans)
lafilature.org

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