Nuits blanches

Vingt-cinq ans de carrière et un agenda continuellement surbooké, entre DJ sets au long cours soignés et projets extra-dancefloors variés. Questions à Laurent Garnier, work addict incurable, mémoire vivante de la techno et tête d’affiche du festival Ososphère.

Dans votre livre, Electrochoc [1. Biographie / document coécrit avec David Brun-Lambert, édité en 2003 chez Flammarion, qui ressort en octobre augmenté de 80 pages où il est question de l’arrivée du mp3, de l’effondrement des maisons de disques, de l’explosion des festivals ou de… David Guetta www.editions.flammarion.com], vous évoquez un courant électrique se produisant lorsque vous mixez. Quelle sensation recherchez-vous ?

Depuis que je suis môme, j’aime m’exprimer avec la musique des autres, peut-être davantage qu’avec la mienne. Faire danser les gens, les électriser et leur raconter une histoire qui va peut-être rester gravée longtemps dans leur cerveau, c’est très fort ! Pour cela, je n’enchaîne jamais les tubes les uns après les autres : comme un chef, il faut apporter des nuances à sa cuisine.

Ressentez-vous encore la techno comme un « coup de poing dans le bide » ?

Bien sûr, c’est viscéral.

Vous évoquez l’Haçienda de Manchester, le second Summer of love, en Grande Bretagne à la fin des eighties, et vos premières soirées au Rex parisien avec émotion. Le DJing vous permet de faire perdurer un âge d’or ?

Il ne s’agit pas d’une époque révolue car la techno ne s’est jamais aussi bien portée qu’en ce moment. Beaucoup d’artistes réinventent cette musique et il y a de nombreux endroits où elle peut s’exprimer. Lorsque je mixe pendant 8 heures au Panorama Bar à Berlin, je retrouve les mêmes sensations qu’il y a 25 ans. La magie opère toujours.

Vous dites que la techno « fut la dernière révolution musicale » du XXe siècle, mais que « ça n’est plus la musique du futur »…

Aujourd’hui, il n’y a plus de combat : la techno est partout, elle est digérée. Elle reste futuriste dans son idéal, sa sonorité, mais ça n’est plus la musique de demain.

Vos sets de DJ et votre émission radio – It is what it is[2. Diffusée sur le Mouv’ et Couleur 3 www.lemouv.frwww.rts.ch/couleur3], où vous passez des nouveautés electro mais aussi Bérurier noir ou Stooges – trahissent un grand éclectisme de votre part.

J’ai grandit avec radio Nova dont la devise était « Pas de visa chez Nova » !

Il n’y a pas d’arrière-pensée pédagogique, d’envie d’ouvrir votre public à d’autres esthétiques ?

Pas du tout ! D’ailleurs, je travaille toujours sur le moment, selon mes humeurs, je ne prépare jamais rien. C’est pour ça que je préfère jouer longtemps[3. Pour Ososphère, il livrera un “long spécial DJ set”] : en une heure et demie, je risquerais de m’enfermer dans un automatisme.

Vous aimez prendre votre temps… mais vous ne vous arrêtez jamais, multipliant les projets.

Je suis un alcoolique du travail : je n’arrive pas à décrocher. Avec une moyenne de 6 ou 7 sets par mois, je fais cependant nettement moins de dates que les autres DJs.

Ce qui vous permet d’investir d’autres champs artistiques, comme la danse avec Angelin Preljocaj[4. Il a réalisé la musique du ballet Fire Sketch à l’occasion de l’ouverture du Pavillon noir à Aix-en-Provence, en 2006, puis de Suivront mille ans de calme, en 2010, avec le Bolchoï]

Ou avec Marie-Claude Pietragalla. Dernièrement, j’ai bossé sur une BD parlant de moi, Rêves syncopés, qui sort en octobre chez Dargaud, et je travaille en ce moment sur une adaptation ciné d’Electrochoc.

Pour pimenter le tout, vous avez lancé cette année votre festival, YEAH ![5. La première édition, en juin dernier, convia Lescop, Zombie Zombie, Allah-Las ou encore Jules-Édouard Moustic et Luz en DJ set – www.festivalyeah.fr], à Lourmarin…

Je le perçois comme une soupape de rigolade. C’est un tout petit festival, un contre pied à tous ces événements qui font une surenchère de sons, de lumières, de line-ups

Selon vous, « ce qui va tuer la techno, c’est la technologie ». Aura-t-elle la peau du DJ ?

Avec tous les programmes, les plug-ins, c’est très facile d’être musicien ou DJ aujourd’hui. Une nouvelle génération de platines CD vient de sortir : tu appuies sur un bouton et tout est synchronisé. Ces technologies peuvent tuer le métier de DJ, mais si elles lui permettent d’extraire des boucles, de déstructurer et reconstruire les morceaux, ça peut aussi être très excitant.

Flashback

À dix ans, le petit Laurent transforme sa chambrette en discothèque, avec stroboscope et boule à facettes. Bercé par la musique d’auto-tamponneuse (ses parents sont forains) et fasciné par I Feel Love de Moroder & Summer, il se prédestine au “métier” de disc-jockey. Quand il se retrouve de l’autre côté de la Manche en tant que valet de pied de l’Ambassadeur de France à Londres, il n’a qu’une chose en tête : les nuits anglaises. Courant 1987, en pleine explosion house – sur les ondes, M/A/R/R/S monte le son avec Pump up the Volume –, le jeune DJ officie derrière les platines de l’Haçienda, boîte de Tony Wilson, boss de Factory Records (New Order, Happy Mondays…), qui changera Manchester la désargentée en “Madchester” la déjantée. Il enchaînera alors les sets, de Detroit à São Paulo, de soirées hystériques à plans foireux : fêtes gangrénées par les gangs ou sapées par la police. En 1994, Garnier lance F Communications (Mr Oizo, Saint-Germain…), label qui accompagne le raz-de-marée nommé french touch. Il y sort ses propres productions : une poignée d’albums et quelques hits, Wake up, Flashback, Crispy Bacon… Au début des années 2000, l’« hyperactif » se sentira « à terre » et tentera de se ménager un peu. Même si Garnier est aujourd’hui retiré dans un petit village provençal, déconnecté des pulsations urbaines et harmonisé par le chant des cigales, il persiste à vivre à 220 BPM.

www.laurentgarnier.com

Samedi 28 septembre sur le site de la Coop

L’Ososphère (avec Fatboy Slim, Rone, Kavinsky…) le 21 septembre à La Laiterie et les 27 & 28 sur le site de la Coop, 1 rue de La Coopérative au Port du Rhin à Strasbourg

Prochaine édition, samedi 19 octobre à La Laiterie

03 88 237 237

www.ososphere.org

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