Noir c’est noir

Photo de Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Élysées

À Dijon, Éric Ruf s’empare de Pelléas et Mélisande, transportant l’opéra de Debussy dans un ténébreux royaume figé dans une fuligineuse éternité.

Un théâtre où les « personnages sont transpercés par les sentiments qu’ils éprouvent » : voilà comment Éric Ruf conçoit Pelléas et Mélisande dont le livret reprend la pièce éponyme de Maurice Maeterlinck avec ses « structures langagières qu’on perçoit comme antinaturelles au début, mais dont on comprend toute la logique en s’immergeant dans l’œuvre. » Cette histoire d’amour impossible et monstrueuse, véritable Tristan und Isolde à la française, l’Administrateur général de la Comédie française l’a mise en scène1 dans un univers crépusculaire plein de lenteur. En dirigeant les chanteurs, il avait à l’esprit la célèbre sculpture de Giacometti, L’Homme qui marche : « Il est penché. Comme si le mouvement avait été arrêté, comme si l’action s’était figée. Il a fallu convaincre les chanteurs de “ne pas faire”, après qu’ils aient essayé de faire tout ce qui était possible », s’amuse-t-il. Face à des sentiments évoquant une météo tragique, il a imaginé une atmosphère où pointent les tempêtes, où le soleil ne perce jamais, où « les personnages ne décident pas des choses, leurs destinées étant ordonnées par des éléments supérieurs ». Dans ce royaume à l’arrêt peuplé de spectres vêtus de costumes aux tonalités sombres signés Christian Lacroix, seule Mélisande (incarnée par la magnifique soprano australienne Siobhan Stagg2) évolue dans une robe moirée aux chatoiements de couleur étincelants comme dans un tableau de Gustav Klimt. On a le sentiment qu’elle « peut réveiller les choses. Si nous avions été dans un manga, je l’aurais représentée par une jeune femme qui avance. Au rythme de sa marche, les plantes flétries par l’hiver fleurissent et les arbres figés dans le froid bourgeonnent. »

Photo de Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Élysées

L’atmosphère nimbant le plateau évoque curieusement l’outrenoir de Pierre Soulages, « un champ mental, plus qu’une couleur, un au-delà naissant du reflet de la lumière sur le noir qui va toucher la sensibilité », explique le peintre3. Le décor, celui d’un bord de mer mélancolique où la végétation n’est qu’un souvenir, « une cendre tombée sur le royaume et dans le cœur des différents protagonistes », a été inspiré au metteur en scène par une visite de la base de sous-marins de Lorient découverte alors qu’elle était à l’abandon : « J’ai été fasciné par cette cathédrale de béton destinée à on ne sait quelle religion, avec ses alvéoles et l’humidité qui s’infiltre partout, malgré des parois de plus de sept mètres d’épaisseur », résume-t-il.


À l’Opéra de Dijon, du 6 au 10 novembre
opera-dijon.fr

Rencontre avec les artistes l’issue de la représentation du 10/11

1 Créée au Théâtre des Champs-Élysées (Paris) en 2017 et récompensée par le Grand Prix du Syndicat de la critique
2 Reconnue comme meilleur premier rôle au Green Room Awards en 2019 pour son interprétation au Victorian Opera à Melbourne
3 Voir Poly n°130 ou sur poly.fr

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