Light revolution

Anselm Feuerbach, Ruhende Nymphe, 1870 © Germanisches Nationalmuseum, Nürnberg

Avec La Lumière et la toile, la Staatliche Kunsthalle Karlsruhe revient sur les rapports clairs-obscurs entre peinture et photographie, nés avec l’invention de cette dernière au XIXe siècle.

La naissance de la photographie à la fin des années 1830 est de ces bouleversements qui firent vaciller le monde, à l’instar du cinéma ou du digital. Ce nouveau médium, saisissant le réel et figeant le mouvement comme jamais auparavant, sonne comme un coup de semonce dans le monde des arts. Les images produites sont regardées dans un mélange de fascination pour la rapidité de leur production, mais aussi avec défiance par les peintres dont le savoir-faire patiemment peaufiné jusqu’ici se voyait dépassé par la modernité. Le daguerréotype couchait la réalité sur une plaque d’argent, au point que certains journaux questionnent alors le devenir de la peinture. L’interprétation des artistes laissait place à une technicité révélant détails et décors dans l’instant, ne trichant pas. Les rapports houleux des débuts laissent place ensuite à un intérêt grandissant, notamment pour les apports nouveaux permis par la photo dans l’étude des mouvements – Eadweard Muybridge immortalisant le galop d’un cheval décomposé image par image (1881) – ou des gros plans sur des végétaux, révélant un monde inconnu. Les expérimentations des photographes, jouant des distorsions des focales, de la lumière et des temps d’exposition pour superposer, tels des fantômes, divers personnages finit d’éteindre l’opposition entre ces deux arts.

Takashi Arai, Arata Kikumoto, 2016-2018 © Takashi Arai, Tokyo


En exposant toiles et clichés côte à côte – comme une photo et deux tableaux du même Joueur d’orgue de barbarie signés Charles Nègre – se dévoilent d’indubitables influences dans les poses et portraits (ceux d’Arthur Schopenhauer mi-
XIXe exposant les atouts de chaque support), jusque dans le fantasme d’un orientalisme sensuel. La belle Ruhende Nymphe de la toile d’Anselm Feuerbach (1870) et sa pose lascive à moitié endormie n’a rien de pornographique. Loin, très loin des clichés du même genre se multipliant à l’époque. Dans les tentatives de saisir le mouvement de vagues déchainées sur le rivage ou les falaises, la peinture défend encore une fois fièrement ses chances et l’on comprend que l’arrivée de concurrents autour du réalisme constitua une opportunité sans pareille pour les peintres, poussés à expérimenter un autre rapport au monde, à être inventifs en diversi ant leurs sujets et leur palette. La Staatliche Kunsthalle Karlsruhe consacre d’ailleurs une salle entière à Tomorrow’s History, série de Takashi Arai. Le Japonais cherche à travers une installation sonore doublée d’une trentaine de portraits au daguerréotype, réalisés en 2016, à exprimer une vision de l’avenir en immortalisant ses jeunes compatriotes sur les lieux de catastrophes (Hiroshima, Fukushima…) tout en les questionnant sur leurs aspirations futures. La vulnérabilité du support correspond à la fragilité des destins actuels dans un jeu de miroir où notre propre reflet se mêle à l’image produite sur plaque réfléchissante.


À la Staatliche Kunsthalle Karlsruhe, jusqu’au 2 juin
kunsthalle-karlsruhe.de
Visites guidées en français, les samedis 6 avril et 18 mai à 14h30

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