Who’s Next

Accueillant 27 compagnies de 14 pays, Les Giboulées offrent un état des lieux de la création actuelle, fortement marquée par l’innovation technologique. Tour d’horizon, par genres, de la biennale internationale Corps-Objet-Image. Marionnettes à fils hautes comme une pomme, pantins augmentés et modélisés en 3D, matières mouvantes, jeux d’ombres et de surfaces triturant la réalité, robots et imprimantes 3D, installations monumentales dans l’espace public : l’édition 2018 du festival Les Giboulées portée par le TJP fait feu de tout bois.

Innovations technologiques 2.0.

Bousculant les limites du spectacle vivant, Joris Mathieu, invente le théâtre déambulatoire sans humains avec Artefact (17 & 18/03, Espace K, dès 14 ans). Dans cette fable en Fab Lab pour imprimantes 3D et bras articulé en guise de comédiens, les spectateurs munis d’écouteurs sont conviés à un dialogue futuriste entre un personnage et une Intelligence Artificielle désireuse de faire du théâtre. Ce ballet mécanique, mais non moins virtuose, rempli de sonnets de Shakespeare et d’absurde beckettien, réfléchit l’avenir de l’humanité à l’aune du développement technologique exponentiel.

L’israélien Amit Drori livrera pour sa part le fruit de cinq années de développement de ses “Electro-Monsters”, singes robotisés peuplant Monkeys (16 & 17/03, TJP, dès 9 ans). Questionnant les limites du vivant, cette création mondiale explore l’anthropomorphisme de créatures qui s’aiment, se battent et se donnent la vie quand il ne vouent pas une adoration sans bornes à leur propre Dieu. Ces primates-androïdes auraient-ils autant d’humanité que nous ?

Exploration de matières

Passé par l’Atelier de Scénographie des Arts déco strasbourgeois, Itzel Palomo crée, avec son frère Silvio, un solo performatif aux frontières des arts visuels et du théâtre. Appel d’air (23/03, TJP, dès 12 ans) explore les méandres de la mémoire dans un étirement du temps. Sur écran translucide, il utilise des focus optiques et des effets de flou distanciant les souvenirs intimes qu’il y projette. Pantins de taille humaine, fruits géants aux couleurs vives et à la texture de piñatas évoquent une enfance qui demeure impalpable et impénétrable. Il plongera de l’autre côté du miroir, traversant cette mince frontière où se confondent réalité, souvenir et imaginaire grâce à une scénographie organique.

Artiste choyé du TJP, le plasticien et performeur Tim Spooner signe son nouvel ovni, de concert avec la metteure en scène Anne Ayçoberry. The Pulverised Palace (22 & 24/03, TJP, dès 12 ans) se veut une exploration de la “maison de la poussière” décrite dans l’épopée de Gilgamesh. Un récit sumérien sur tablettes d’argile du troisième millénaire avant notre ère, pour partie effacé. L’artiste anglais s’intéresse à ce lieu proche des enfers et au cycle récurrent de la perte, par l’effondrement ou la destruction violente, de ce que les humains bâtissent.

De singulières performances

LOIE FULLER: RESEARCH (17/03, Mamcs), qui orne la Une de Poly, est née de la fascination pour le potentiel cinétique et hypnotique des “Dancing Dress” inventées fin XIXe par la danseuse américaine Loïe Fuller. Plus d’un siècle plus tard, la chorégraphe polonaise Ola Maciejewska s’inspire de cette pionnière de la danse moderne et de ses immenses voiles amples qui tournoient en ondulations serpentines grâce à d’invisibles bâtons.

Autre objet à la plastique intrigante, Floe (24/03, Parvis du Théâtre de Hautepierre), amas d’icebergs morcelés qui émergent dans l’espace public. Jean-Baptiste André explore cette œuvre scénographique conçue par le plasticien Vincent Lamouroux en confrontant son corps aux arrêtes anguleuses de blocs grandioses d’un blanc immaculé qui perturbent l’architecture environnante. L’onirisme évanescent de cet explorateur urbain du Grand Nord invite à une rêverie contemplative.

D’étranges contrées il est aussi question dans Terres invisibles (23 & 24/03, TJP, dès 14 ans). Sandrina Lindgren et Ishmael Falke utilisent leur corps comme des paysages pour figurines miniatures, dont le parcours chaotique d’exil est filmé en direct par de mini-caméras. Bruits de combats, traque d’une famille dans des montagnes de genoux par un hélicoptère de la taille d’une boite d’allumettes, errance d’une embarcation de fortune sur une mer de ventre… Ce qui ressemble à jeu d’enfant conte les drames ordinaires de milliers de déplacés qui, tous, tentent de sauver leur peau.

Croisements de langages

Dans Arde brillante en los bosques de la noche (20-22/03, Maillon-Wacken, dès 15 ans), l’argentin Mariano Pensotti construit une triple narration au récit emboité à la manière d’une poupée russe, recourant à autant de médiums : marionnettes à fils, théâtre et film. Nous y suivons le destin d’une professeure d’université enseignant la Révolution russe à Buenos Aires, une jeune femme s’engageant dans la lutte armée en faveur de la libération de prisonniers en Amérique latine et une journaliste de talk-show politique. Toutes sont reliées par la figure emblématique d’Alexandra Kollontaï, révolutionnaire soviétique et féministe. Reprenant les idées formelles de l’avant-garde russe (représentation du corps en conflit, dichotomie entre statut de spectateur et d’acteur de l’Histoire, contrôle politique du corps par le pouvoir), le metteur en scène invite à repenser l’héritage de la révolution de 1917 à travers la célèbre question de Lénine : « Que faire ? »

Last but not least, Renaud Herbin présente Open the owl (22-24/03, TJP, dès 10 ans), créée au dernier Festival mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières. Le directeur du TJP y met en scène les personnages miniatures d’une pièce de répertoire slovène de 1936. Il a confié à la romancière Célia Houdart une réécriture du récit original Sovji grad – Le Château des hiboux. Métamorphose, ruse, imposture dans une quête du pouvoir, la réalité des êtres s’y modifie sans cesse, à l’instar de l’espace d’un castelet minuscule qui s’ouvre et laisse voyager le spectateur, à son gré, dans une déambulation libre. Travellings latéraux et projections vidéo démultiplient les points de vue sur l’histoire et le regard de superbes marionnettes recréées d’après les originales.

Les Giboulées, dans différents lieux de Strasbourg, du 16 au 24 mars
tjp-strasbourg.com

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