Le ventre de Miami

© Mark Selinger

Question métaphysique… Quel livre emporter sur la plage cet été ? Le dernier opus de Tom Wolfe of course. Les 600 et quelques pages de Bloody Miami forment une fresque décapante entre roman français du XIXe siècle et grands espaces mentaux made in USA.

On connait l’art consommé de Tom Wolfe pour disséquer la société américaine : après Le Bûcher des Vanités (NYC eighties et les “maîtres de l’univers” de la finance) ou Moi, Charlotte Simmons (abyssale plongée au cœur des turpitudes et du vide intersidéral des étudiants d’un campus), le dandy de la littérature US livre une autre fresque chorale… et prouve en passant qu’à plus de 80 ans il n’a rien perdu de son mordant. La signification du titre, Bloody Miami ? On la comprend mieux en version originale – Back to Blood – puisqu’il ne s’agit pas d’un polar sanguinolent rempli de macchabés éviscérés, mais bien d’une réflexion sur la cohabitation possible des différentes communautés dans le melting-pot américain. L’écrivain prend la ville à bras-le-corps, plongeant avec délices dans ses entrailles sur un mode proche du New Journalism, expression qu’il forgea dans les années 1970, un avatar contemporain du roman naturalisme du XIXe siècle. Tom Wolfe, du reste, est un admirateur éperdu de Zola. Son second dieu littéraire se nomme Balzac. Sous la figure tutélaire des deux écrivains, il nous entraîne dans une épopée du XXIe siècle qui débute sur le parking d’un établissement de luxe, le… Balzac. On y croisera un flic cubain, sa petite copine qui ne le reste pas longtemps le plaquant pour un psy médiatique et libidineux, des oligarques russes, des seniors actifs, des dealers de crack, un professeur d’Université haïtien qui aimerait tant qu’on croit qu’il est français, un chef de la police black, un journaliste WASP du Miami Herald diplômé de Yale…

La trame romanesque est efficace avec ses trajectoires isolées qui, classiquement, finissent par se rejoindre, mais s’efface devant la radiographie impitoyable et fort éloignée des canons du politiquement correct, de la ville de Miami qui est proposée au lecteur : entre lutte des les classes, choc des cultures et rapports tendus entre des communautés qui ne font que vivre côte à côte (les sangs ne se mêlent guère…), le constat est impitoyable. Entomologiste, Tom Wolfe livre une vision d’un ironie mordante, parfois désabusée, mais toujours précise et drôle de la cité de Floride : en cela la scène du vernissage VIP d’Art Basel Miami est un modèle du genre… Son prochain livre ? Sans qu’il soit créationniste (ou quoi que ce soit du reste), Tom Wolfe prépare The Human Beast (La Bête humaine, on est à nouveau en plein Zola) où il expliquera « comment la théorie de l’évolution s’est imposée comme un dogme presque religieux, qui coûte son poste à tout universitaire coupable du moindre doute à son endroit » (extrait d’un entretien avec Philippe Coste paru dans L’Express du 29 mars). Les dents de certains n’ont pas fini de grincer à la lecture des romans d’un auteur qui sait taper juste et fort. Des romans ? « Et si nous étions en train d’y contempler l’aurore de l’avenir de l’Amérique ? » demande-t-il…

Bloody Miami est paru aux éditions Robert Laffont dans la collection Pavillons (24,50 €)


www.laffont.fr

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